Accouchement confidentiel (Projet de loi en Allemagne) : Entre accouchement anonyme et accouchement secret, le législateur allemand se saisit de la question de l’accouchement confidentiel


par Laurie Marguet



     Le 19 mars 2013, un projet de loi – porté notamment par la ministre de la famille Kristina Schröder – relatif au renforcement de l’aide proposée aux femmes enceintes et à la règlementation de l’accouchement confidentiel a été déposé à la chambre fédérale du Parlement allemand (Bundestag) par les groupes parlementaires de la droite conservatrice (CDU – Union Chrétienne démocrate) et libérale (FDP – parti libre démocratique) allemande. Le 5 juillet, la chambre des Etats fédérés (Bundesrat) a approuvé le projet, permettant ainsi la préparation de la mise en œuvre par l’Etat (Bund) et les Etats fédérés (Länder) de cette nouvelle procédure d’accouchement. La loi entrera définitivement en vigueur au 1er mai 2014. Malgré l’échec des trois précédentes tentatives (la première voulait modifier la loi relative à l’état civil, la deuxième et la troisième souhaitaient règlementer les naissances anonymes, la dernière ne concernait cependant que le Land de Bavière) le gouvernement allemand a finalement réussi à mettre en place une nouvelle procédure d’accouchement anonyme, ou plus exactement « confidentiel » (vertraulich) pour les femmes en situation de détresse (Notlage). Cette future loi tend à clarifier juridiquement la situation d’une centaine d’enfants qui naissent chaque année de manière secrète en Allemagne (étude du Deutsches Jugendinstitut réalisée par Joelle Coutinho, Claudia Krell avec la collaboration de Monika Bradna, Les naissances anonymes et les « boites à bébé » en Allemagne – Chiffres, offres et contexte, 2011).


     Ce projet de loi tend à clarifier et à unifier à l’échelle nationale la situation des enfants abandonnés après la naissance. Jusqu’au présent texte, la question des accouchements ou des « remises » anonymes d’enfants n’était pas juridiquement règlementée par l’Etat. Elle était dans le meilleur des cas partiellement aménagée par le droit du Land, dans le pire gérée de facto par les établissements qui s’occupaient de récupérer lesdits enfants (). La future loi souhaite principalement apporter aux femmes enceintes en situation « de détresse psycho-sociale » une aide appropriée, sécuriser juridiquement et médicalement l’accouchement et ses conséquences, et garantir les droits fondamentaux des personnes concernées, et particulièrement celui de l’enfant à la connaissance de ces origines ().


     Ainsi, alors que certains indices (v. notamment la loi du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et des pupilles de l’Etat, instaurant notamment le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles, la loi du 16 janvier 2009 supprimant entre autres la fin de non recevoir à l’action en recherche de maternité, la très médiatisée décision de la Cour d’appel d’Angers du 26 janvier 2011 ou encore deux propositions de loi sur la question, l’une relative à la levée de l’anonymat, l’autre à une procédure d’accouchement « dans la discrétion ») semblent indiquer que l’accouchement sous X est menacé en France, serait-il sous peu introduit en Allemagne ? La réponse à cette question tend vers la négative, car même si l’accouchement confidentiel permet en effet aux femmes  femme qui accouchent de rester (du moins temporairement) anonyme, les mécanismes et les paradigmes juridiques qui sous-tendent cette nouvelle procédure sont très différents de ceux qui guident (ou du moins guidaient) l’accouchement sous X en France lors de son introduction en 1993 ().


1°/- La situation juridique en Allemagne avant le présent projet de loi


     Une femme qui souhaite abandonner l’enfant après sa naissance a actuellement (et jusqu’au 1er mai 2014) deux possibilités : l’accouchement anonyme et les « boites à bébé » (A) (« Babyklappen », appelées autrefois en France également « tours d’abandon »). Ces deux possibilités de « remise anonyme d’enfant » ne font pas l’objet d’une règlementation complète, claire et unifiée à l’échelle nationale, et sont notamment pour cette raison très contestées (B).


A – Les possibilités de « remise anonyme d’enfant » en Allemagne


    Sémantique – Les termes utilisés dans le domaine de l’accouchement « sous X » ne sont pas toujours évidents à distinguer. En France, l’accouchement « sous X » n’est pas le terme officiel du procédé. Cette appellation se réfère aux pratiques de fait des établissements de naissance : ils inscrivent en effet sous l’appellation « X » la femme qui souhaite garder le secret de son accouchement. Officiellement, les textes de loi parlent « d’anonymat ». L’anonymat sous-entendrait une « absence totale de savoir » relative à l’identité des femmes, alors que le terme secret se réfèrerait, quant à lui, à un « savoir protégé » : l’identité de la femme pourrait être cachée aux tiers mais la possibilité serait ouverte à l’enfant de connaître l’identité de sa génitrice (Cécile Ensellem, Naître sans mère ? Accouchement sous X et filiation, Presse universitaires de Rennes, Rennes, 2004, p. 12). Le terme « confidentiel », utilisé ici pour décrire la nouvelle procédure allemande, est l’une des traductions possibles de « vertraulich ». Il semblait correspondre à l’idée générale du texte. Il aurait certainement pu être traduit par « secret » puisqu’il existe une possibilité pour l’enfant de connaître l’identité de sa « mère », et que l’anonymat de la femme n’est donc pas garanti de manière absolue. Cependant, comme « l’accouchement secret » existait déjà en Allemagne avant la réforme, l’utilisation d’un autre terme semblait plus appropriée pour décrire cette nouvelle alternative.


    Ces pratiques, quel que soit leur nom, ont toutes pour finalité « d’éviter le pire » : un abandon « sauvage » ou même un infanticide, et de permettre aux femmes en situation de détresse d’obtenir l’aide médicale et sociale escomptée afin de pouvoir confier par la suite à une institution l’enfant qu’elles ne peuvent ou veulent pas garder.


    Le Conseil d’éthique allemand (Ethikrat) a décrit dans un avis de 2009 relatif à la remise anonyme d’enfant (également disponible en français) (en détails v. infra) les différents mécanismes permettant à une femme d’abandonner anonymement son enfant :


     La boîte à bébé est « un casier, dont la porte vitrée se referme automatiquement. Il comporte un lit chauffant dans lequel on peut déposer l’enfant. Il est installé dans un bâtiment (généralement celui d’un hôpital) autant que possible à l’abri des regards. Après un laps de temps permettant à la personne qui a déposé l’enfant de partir incognito, le service des urgences de l’établissement est averti par une alarme. Cela lui permet de recueillir l’enfant et de lui prodiguer les soins nécessaires. Dans les Babyklappen, des informations sur les aides et les conseils aux mères sont disponibles, ainsi qu’une liste de numéros d’appel d’urgence destinés à la personne qui y dépose l’enfant ». Ces centres de Babyklappen ont été (re)mis en place à partir de 1999. Le but était de permettre aux femmes d’abandonner l’enfant « Sans nom. Sans question. Sans sanction » (Ohne Name. Ohne Fragen. Ohne Strafe). Il en existerait actuellement environ 80 en Allemagne. Ils sont principalement financés par des dons, des fonds municipaux affectés à la jeunesse et le budget des services hospitaliers concernés. Un tiers des remises anonymes d’enfants se produirait par l’utilisation d’un Babyklappen (Projet de loi, op.cit, p. 1). Une remise d’enfant « bras à bras » avec une personne travaillant dans l’un de ces établissements est parfois possible sur rendez-vous. Elle n’est cependant que très rarement mise en œuvre.


    Il existe par ailleurs deux formes d’accouchement de facto « sous X » : l’accouchement dit « anonyme » et celui dit « secret ».


     L’accouchement anonyme – Le mécanisme est possible dans « quelques hôpitaux [qui] proposent aux femmes enceintes, généralement en coopération avec des organismes privés, religieux ou non, d’accoucher ‘sous X’ en bénéficiant d’un accompagnement médical et d’abandonner ensuite leur enfant sans décliner leur identité ». Ces accouchements sont organisés par les différents organismes et maternités eux-mêmes. Il existerait un peu plus d’une centaine d’établissements en Allemagne proposant ces accouchements « sous X » et garantissant à la femme le secret de son identité (Etude du Deutsches Jugendinstitut, op.cit). Les femmes y accouchent et peuvent ensuite y laisser directement l’enfant (Marina Wellenhöfer, Münchener Kommentar zum BGB, §1591, Rn 40 – 41, 6. Auflage, 2012, disponible également avec abonnement sur la base de donnée de BECKonline).


     La naissance secrète – « On entend généralement par « naissance secrète »  la possibilité ouverte à la mère de déposer son nom dans une enveloppe fermée, par exemple auprès du service consultatif d’un organisme privé, en stipulant que seul l’enfant pourra prendre connaissance du contenu de l’enveloppe quand il aura atteint l’âge de seize ans (appelée « solution de l’enveloppe« ). Le service consultatif qui conseille la mère a en principe connaissance de son identité » (Conseil d’éthique allemand, avis de 2009).


    L’existence de ces deux formes d’accouchement dépend du bon vouloir de l’établissement médical, privé ou religieux qui propose ce service. Elles constitueraient deux tiers des cas de remises anonymes d’enfant. Ces accouchements ne font l’objet d’aucune législation spécifique et l’anonymat de la mère n’est que de facto protégé. Cela entraîne dès lors des problèmes juridiques.


B – Les difficultés juridiques soulevées par ces pratiques


    Le Conseil d’éthique allemand s’est, à l’instar d’une grande partie de la doctrine juridique allemande, exprimé contre les « remises anonymes » d’enfants, en raison notamment de leur inefficacité à lutter contre les abandons sauvages et les infanticides précoces, des nombreux problèmes empiriques qu’elles posent, et de leur incompatibilité avec le droit positif civil, pénal et constitutionnel.


     En ce que ces pratiques rendent impossible la découverte par l’enfant de ses origines maternelles, leur compatibilité avec le droit fondamental de chacun à la découverte de ses origines biologiques (BVerfGE 79, 256 ; 90, 263 sur le fondement de l’article 2 al. 1 de la Loi fondamentale allemande (Grundgesetz), en relation avec l’article 1) a été mise en doute. La doctrine considère majoritairement ces pratiques comme évidemment inconstitutionnelles. Néanmoins, et malgré l’utilisation par la Cour constitutionnelle d’une formulation générale, un courant doctrinal minoritaire interprète cette décision comme ne concrétisant pas un droit général à la connaissance de ses origines, mais seulement une protection contre la rétention d’information. Selon cette position, la Cour constitutionnelle aurait certes concrétisé un droit d’accès de l’enfant à des informations déjà existantes, mais ce droit n’imposerait en rien à une personne de laisser des informations personnelles la concernant. Ce droit n’ouvrirait dès lors pas l’obligation pour l’administration de garantir à l’enfant, de manière absolue, la connaissance de l’identité de ses géniteurs. Selon cette position, l’accouchement secret ne serait donc pas nécessairement contraire à la Constitution.


    Il a également été fait valoir que ces pratiques portaient atteinte à l’article 6 LF qui protège l’institution familiale, et particulièrement à l’article 6 alinéa 2 qui accorde à l’enfant le droit d’entretenir des relations avec ses parents même contre leur gré et d’être élevé et éduqué par eux (BVerfGE 1 BvR 1620/04 en date du 1 avril 2008).


     Les pratiques de remises anonymes d’enfant porteraient de plus également atteinte aux droits du père, à son droit de connaître sa propre descendance (BVerfGE 96, 56 sur le fondement des articles 2 al. 1 et 1er  LF) et à son droit à la protection de sa vie familiale (article 6 al. 2 LF) dont se dégage notamment le droit pour le père biologique d’accéder à ses droits parentaux et de faire reconnaître sa paternité (BVerfGE 108, 82).


    Selon les contradicteurs, ces procédés seraient incompatibles avec le droit de l’état civil puisqu’ils porteraient atteinte à l’obligation en premier lieu des parents (article 19 alinéa 1 de la loi relative à l’état civil des personnes (Personenstandgesetz – PStG) de déclarer l’enfant à l’état civil dans la semaine qui suit sa naissance (v. article 18 PStG) et ce, sous peine de contraventions (article 70 PStG). Ils seraient de plus incompatibles avec le droit de la famille et de la filiation : soulignons en effet pour éclairer cette critique le fait, qu’en droit allemand, le lien de filiation maternelle découle automatiquement de l’accouchement (article 1591 du Bürgerliches Gesetzbuch – BGB, c’est-à-dire du Code civil allemand (disponible également en anglais). Aucun acte de reconnaissance supplémentaire n’étant nécessaire (comme c’est en théorie le cas en droit français), la mère ne peut donc a priori pas renoncer (par un acte de volonté) à sa maternité (Marina Wellenhöfer, Münchener Kommentar zum BGB, §1591, op. cit). Le droit allemand refuse ainsi aux deux parents (en pratique principalement à la mère) le droit de se retirer juridiquement de sa famille (Avis du Conseil d’éthique, p. 38). La disparition de la femme empêche certes de fait la mise en œuvre de ces dispositions mais en théorie la femme qui a accouché reste juridiquement la mère de l’enfant (jusqu’à ce qu’un jugement d’adoption définitive soit prononcé).


    Cette position du droit allemand (et d’une partie de la doctrine) s’inspire d’une conception jus naturaliste du droit de la filiation (ce qui rend a priori encore plus difficile l’introduction d’une procédure d’accouchement confidentiel). Selon celle-ci, il existe un « droit naturel des parents à s’occuper de leur enfant » (article 6 alinéa 2 LF) car le « rapport parents/enfants est un lien à vie, fondé sur la nature et indissoluble. Il n’est pas créée par l’Etat ou par la loi mais est simplement découvert par eux » (Alfred Wolf, « Über die Konsequenzen aus den gescheiterten Versuchen, Babyklappe und anonyme Geburten durch Gesetz zu legalisieren », Familien, Partenerschaft, Recht, Zeitschrift für die Anwaltpraxis, Interdisziplinäres Fachjournal, 2003, p. 112, disponible également avec abonnement sur la base de donnée Beckonline). Ainsi, puisque la femme reste la mère de l’enfant, les autorités ont en principe le devoir de la rechercher (Willutzki, FS Groß, 2004, S. 249, 250 ; Wolf FPR 2003 cité par Wellenhöfer, Münchener Kommentar zum BGB, § 1591, op. cit.). Les pratiques visant à organiser un « abandon » d’enfant seront donc contraires aux dispositions précitées et à l’esprit jusnaturaliste du système familial.


     Les sanctions pénales (théoriquement) encourues- En l’absence de cadre législatif clair et unifié, la femme et les organismes en charge des remises anonymes d’enfant s’exposent en principe à des sanctions pénales. Le comportement de la femme pourrait être constitutif d’une falsification d’état civil par omission (article 169 Strafgesetzbuch – Code pénal allemand, StGB, en relation avec l’article 13 StGB). En abandonnant l’enfant, la femme pourrait de plus violer les articles 170 et 171 StGB qui condamnent respectivement le manquement à ses obligations parentales d’entretien (de subsistance, Unterhaltspflicht) et d’assistance et d’éducation (Fürsorge- und Erziehungspflicht) vis-à-vis de l’enfant. La femme pourrait également être coupable d’abandon (Aussetzung, article 221 StGB). Dans les faits, les poursuites ne sont que difficilement possibles puisque l’identité de la femme reste le plus souvent inconnue. En outre, la situation d’urgence, de détresse et de nécessité dans laquelle se trouve a priori la femme au moment de l’abandon est susceptible de la disculper (Rechtfertigende Notstand, article 34 du StGB, v. Christian Ritscher, Münchener Kommentar zum StGB, § 169, 2. Auflage, Rn 19-25, disponible avec abonnement sur la base de donnée BECKonline).


    Les dispositifs de remise anonyme d’enfant soulèvent ainsi des difficultés juridiques. Selon l’Institut allemand pour la jeunesse (deutsches Jugendinstitut), elles pourraient néanmoins être contournées si les organismes en cause respectaient les procédures cadres énoncées dans son rapport (déclaration de l’enfant à l’état civil selon l’article 24 PStG, communication aux autorités de toutes les informations disponibles sur l’enfant afin qu’elles puissent entamer des recherches, mise automatique de l’enfant sous tutelle (Vormunschaft, article 1773 II BGB), vérification de l’identité  de la femme et au possible de l’acte de naissance lorsque celle-ci demande à récupérer l’enfant, etc.). Dans les faits, il s’avère toutefois que les organismes ne respectent pas toujours les instructions de l’institut. Il n’existe de ce fait aucune pratique unifiée au niveau national. Par ailleurs, le Conseil d’éthique critique également le fait que les offres actuellement proposées n’assurent pas nécessairement la protection de la santé de la mère et de l’enfant puisque – à moins que la remise d’enfant n’ait lieu dans un hôpital qui l’autorise –  l’accouchement ne se déroule pas nécessairement dans un service médicalisé ou auprès d’un personnel compétent. De plus, ces pratiques ne font pas l’objet d’un suivi statistique et il semblerait que la trace de 20% des enfants remis anonymement ait été perdue. L’absence de toute forme de récolte de données identifiantes est également problématique lorsque la femme prétend revenir chercher son enfant : il n’est pas toujours possible pour l’organisme de savoir quel enfant doit lui être remis. Il n’est en outre pas certain que ces pratiques luttent effectivement contre les abandons « sauvages » et les infanticides : le nombre d’infanticides n’aurait pas sensiblement baissé depuis 1999 (avis du Conseil d’éthique, op. cit., p. 26), et les offres d’accouchement anonymes ne seraient de toute manière pas en mesure de toucher les femmes susceptibles de mettre en danger la vie de l’enfant par un abandon « sauvage » ou un infanticide (sur ce point, v. l’avis du Conseil d’éthique, op. cit., p. 24, lequel se fonde sur une étude réalisée en milieu de psychiatrie médico-légale). Elles pourraient de plus être incompatibles avec le droit européen des droits de l’Homme qui impose en la matière une conciliation précise entre les droits et les intérêts en cause. La Cour européenne des droits de l’Homme exige en effet (Cour EDH, G.C. 13 février 2003, Odièvre c. France, Req. n° 42326/98 ; Cour EDH, 2e Sect. 25 septembre 2012, Godelli c. Italie, Req. n° 33783/09 – ADL du 29 septembre 2012) une mise en balance équilibrée des droits de l’enfant et des intérêts de la mère (v. infra) qui ne semble pas pouvoir être atteinte par une législation aussi lacunaire et incertaine que celle préexistante au projet de loi.


    En raison de ces nombreux problèmes, le Conseil d’éthique a entre autres recommandé la rédaction d’une loi relative à la « remise confidentielle d’enfant sous déclaration temporaire d’anonymat ». Il a également préconisé la fermeture des Babyklappen et la suspension des accouchements anonymes. Le gouvernement allemand a semblé en partie suivre ces notifications puisqu’une loi visant à combler les lacunes juridiques actuelles entrera en principe en vigueur dans 9 mois. De plus, la procédure telle qu’elle a été prévue par le projet de loi semble prendre en compte la plupart des recommandations indiquées par le Conseil d’éthique et des « normes cadres » préconisées par l’Institut allemand pour la jeunesse. Le gouvernement ne semble cependant pas avoir entièrement suivi les directives du Conseil d’éthique puisque l’objectif premier de cette loi n’est pas la disparition en tant que telle des Babyklappen et des abandons anonymes d’enfant. En effet, malgré des hésitations, ce texte ne met finalement pas en place de mécanismes visant directement leur suppression, ce qui a d’ailleurs été critiqué, notamment par les membres du Conseil d’éthique eux- mêmes. La loi espère malgré tout que l’introduction de cette nouvelle procédure de « maternité secrète » aura pour effet de rendre les autres solutions obsolètes.


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2°/- La future loi


    Le texte qui entrera en vigueur au printemps prochain met en place une procédure permettant aux femmes d’accoucher confidentiellement (A). Le législateur a manifestement tenté de prendre en compte les critiques préalablement énoncées afin que la procédure se conforme au maximum au droit pénal, civil et constitutionnel en vigueur (B).


A – Une nouvelle procédure d’accouchement confidentiel


    Le projet de loi commence par énoncer les problèmes et objectifs qui ont menés à la rédaction du présent texte. Il estime que la situation actuelle de la « remise anonyme » d’enfant n’est pas satisfaisante pour plusieurs raisons : « premièrement, les pratiques existantes ne protègent pas assez la vie à naître de l’enfant. Deuxièmement, l’assistance médicale de la mère et de l’enfant à la naissance n’est pas assurée en pratique, et ce en raison de l’absence d’offres généralisées en Allemagne sur cette question, alors même que de telles offres permettraient de concilier les intérêts de la mère et ceux de l’enfant. Troisièmement, les femmes ne connaissent pas toutes l’existence de ces possibilités et des consultations proposées par les centres de consultation relatifs aux conflits en matière de grossesse. Dernièrement, les pratiques jusqu’alors proposées n’assuraient pas une assez grande sécurité juridique pour les différents protagonistes ». L’idée principale du texte est que les femmes qui ont peur de révéler leur nom au moment de l’accouchement doivent se voir proposer une aide adaptée à leurs problèmes, afin de pouvoir tout de même accoucher dans de bonnes conditions médicales, voire même « se décider finalement pour une vie avec l’enfant ». Selon le texte, une règlementation juridique de l’accouchement « confidentiel » offre en cela les meilleures garanties : elle permet une conciliation sensible des droits en présence, d’un côté « le respect de l’anonymat de la mère biologique pendant une durée suffisante, afin qu’elle puisse obtenir de l’aide et trouver une solution à sa situation conflictuelle » de l’autre, « la possibilité pour l’enfant de connaître sa mère lorsqu’il aura atteint l’âge de 16 ans ». La future loi propose ainsi en somme un environnement médical pour l’accouchement en échange d’un anonymat restreint dans le temps.


     Cette loi permettrait-elle alors de concilier droit des femmes et intérêt de l’enfant à la connaissance de ses origines ? Il convient d’en douter, le projet de loi ne faisant clairement pas apparaître la possibilité ouverte aux femmes d’accoucher confidentiellement comme un droit subjectif des femmes : outre l’absence du terme « droit », il n’existe aucune garantie permettant l’exercice d’un tel droit subjectif. Au contraire, il est possible de se demander si la conciliation tentée ici par le législateur ne tend pas avant tout à garantir le droit de l’enfant à la connaissance de ses origines et non le « droit » de la femme à l’anonymat. Pourtant, l’accouchement sous X peut être pensé comme entrant dans la catégorie « droits des femmes », c’est-à-dire comme pouvant être analysé dans une perspective de genre.


    Historiquement, le mécanisme de l’accouchement sous X a été construit en trois temps dans les quelques pays qui autorisent ce mécanisme (comme la France ou l’Italie : originairement mis en place dans une logique de secours et de charité encore connotée moralement dans ses débuts, il s’est ensuite consolidé au nom de préoccupations sanitaires avant d’être conçu (plus récemment) comme un droit des femmes et défendu à ce titre par les mouvements féministes (Tatiana Gründler, « Les droits des enfants contre les droits des femmes : vers la fin de l’accouchement sous X ? », in séminaire Droit des femmes face à l’essor de l’intérêt de l’enfant, La Revue des Droits de l’Homme, n°3, juin 2013). Droit des femmes en ce qu’il s’agirait pour elles d’un droit à ne pas être mère, à ne pas être parent (droit qui a été par ailleurs consacré par la Cour européenne des droits de l’Homme dans d’autres contextes mais qui n’est pas qualifié de la sorte lorsqu’il s’agit de la possibilité pour une femme de renoncer à sa maternité), à se libérer des diktats de la nature communément admis comme contraignants et à choisir librement si elles souhaitent ou non accéder à la maternité. En somme, un droit à l’autonomie procréative (pour une analyse du refus implicite de la Cour EDH de consacrer en la matière un droit à l’autonomie, v. Tatiana Gründler, op.cit.). La lecture du présent texte permet de mettre exergue les tensions existantes entre, d’un côté, les intérêts des femmes (qui ne sont pas pensés comme des droits subjectifs, le projet de loi ne s’inscrivant pas dans une perspective de genre) et, de l’autre, ceux de l’enfant.


    Les six premiers visent la modification du droit civil en vigueur afin qu’il puisse s’adapter à l’introduction de ce nouveau procédé (modifications du Code civil allemand et des dispositions relatives à l’attribution de la nationalité, à l’enregistrement et à la déclaration de l’enfant, à l’état civil des personne). Ces articles dégagent notamment tous les protagonistes concernés de leurs obligations d’enregistrement (Anmeldung) et de déclaration vis-à-vis de l’enfant lorsque sa naissance s’inscrit dans le cadre de la procédure règlementée d’accouchement confidentiel. Ils suspendent également l’autorité parentale de la mère. Celle-ci peut cependant la récupérer si un juge constate qu’elle a fait les démarches nécessaires à l’inscription de l’enfant au registre des naissances. Si ce dernier a des doutes concernant la maternité de la mère, il se doit de procéder à des investigations. La preuve de la maternité est en général possible par une simple attestation de la conseillère du centre de consultation ou d’une personne présente lors de l’accouchement. Le responsable de l’administration de la justice (Rechtspfleger) auditionne personnellement la mère (article 160 de la loi relative aux procédures en matière familiale et aux juridictions gracieuses, Gesetz über das Vefahren in Familiensachen und in den Angelegenheiten der freiwilligen Gerichtsbarkeit, FamFG). S’il a des raisons de penser que la remise de l’enfant à sa mère porte atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant, le Rechtspfleger devra le faire savoir au juge, qui décidera ensuite si des mesures judiciaires (articles 1666 et 1666a FamFG) sont nécessaires. Ces articles suppriment également la nécessité du consentement maternel à la procédure d’adoption. La procédure de l’accouchement confidentiel en tant que tel est décrite en détails dans l’article 7. Il modifie la loi relative aux conflits en matière de grossesse afin de lui permettre d’appréhender cette procédure. L’article 8 concerne l’évaluation de cette loi. Trois ans après son entrée en vigueur, le gouvernement devra émettre un rapport sur les impacts de la loi. Il évaluera sur le fondement de ce rapport si d’autres évaluations doivent être prévues par la suite. L’objectif de cette évaluation est d’examiner la loi au regard de sa signification pratique dans l’aide apportée aux femmes enceintes. Cette étude devra également examiner quels effets la présente loi a exercé sur la remise anonyme d’enfant (Babyklappen et accouchement anonyme). L’article 9 impose la publication de la loi au J.O. L’article 10 prévoit son entrée en vigueur du texte au 1er mai 2014.


     L’article 7 –  Les modifications apportées à la SchKG permettent d’intégrer au fonctionnement déjà existant des centres de consultation le nouveau procédé d’accouchement confidentiel. L’article 2 SchKG dispose déjà que « toute personne a le droit de se faire informer et conseiller en matière d’éducation sexuelle, de contraception et de planification familiale auprès de ces centres ». Ces centres procédant déjà à des consultations complètes en matière de grossesse et de maternité, ils semblaient particulièrement appropriés pour s’occuper également des entretiens relatifs à l’accouchement confidentiel. La structure adéquate et le personnel compétent existent déjà, la loi ne fait ainsi qu’élargir leurs attributions. Les consultations fournies par ces centres pouvant, de plus, être anonymes depuis le 1er janvier 2012 (date de l’entrée en vigueur de la loi fédérale de protection des enfants Bundeskinderschutzgesetz), la femme enceinte pourra être d’autant plus facilement informée et conseillée en matière d’accouchement confidentiel si cela s’avère nécessaire.


    Un nouveau chapitre 6 remplace l’actuel article 25 de la loi relative aux conflits en matière de grossesse. Le nouvel article 25 concerne l’entretien relatif à l’accouchement confidentiel. Lorsque dans le cadre d’une consultation générale sur sa grossesse, la femme demande un entretien anonyme (article 2 SchKG), elle doit être informée de la possibilité d’accoucher confidentiellement, c’est-à-dire à la possibilité de procéder à un accouchement pendant lequel elle ne révèlera pas son identité dans le cadre de la procédure prévue par les articles 26 et suivants. Le but premier de l’entretien relatif à un accouchement confidentiel est de permettre à la femme enceinte un accouchement médicalement supervisé. Il aborde principalement les informations relatives au déroulement de la procédure et aux conséquences juridiques de cet accouchement, relatives notamment aux droits de l’enfant. Il convient de souligner pendant l’entretien la signification pour le développement de l’enfant de la connaissance de ses origines maternelles et paternelles. La femme doit être également informée des droits du père, du déroulement habituel d’une procédure d’adoption et de ses conséquences, et de comment et combien de temps elle peut récupérer l’enfant après l’accouchement. L’entretien doit encourager la femme à laisser à l’enfant le plus d’informations possibles concernant ses origines et les raisons qui ont guidé un accouchement anonyme. L’accompagnement de la femme doit se faire tout du long en coopération avec les services d’adoption. Une telle coopération doit assurer à la femme un accompagnement sur la durée : avant et après la naissance de l’enfant ; afin de servir également la protection des intérêts supérieurs de l’enfant.


     Le nouvel article 26 SchKG décrit la procédure d’accouchement confidentiel : si la femme se décide pour un tel accouchement, elle doit choisir un prénom et un nom de famille qui lui serviront de pseudonyme pendant le reste de la procédure, et un ou plusieurs prénoms féminins et masculins pour l’enfant. Le centre de consultation doit garder une trace des origines de l’enfant. Pour cela, il prend note du prénom, nom, date de naissance, et adresse de la femme enceinte. Il vérifie ces informations à l’aide d’une pièce d’identité valable que doit présenter la femme. Ces informations sont scellées dans une enveloppe de telle sorte qu’il soit impossible de l’ouvrir sans que cela soit remarqué. Sur l’enveloppe, il indique le fait qu’elle contienne les pièces justificatrices de l’origine maternelle de l’enfant (Herkunftnachweis), le pseudonyme de la femme, le lieu et la date de naissance de l’enfant, le nom et l’adresse de l’établissement de naissance de l’enfant (ou de la personne qui a procédé à un accouchement à domicile) et l’adresse du centre de consultation. En précisant bien qu’il s’agit d’un accouchement confidentiel, le centre inscrit la femme – sous son pseudonyme – dans une maternité ou auprès d’une personne compétente pour procéder à un accouchement à domicile. La femme peut choisir librement cet établissement ou cette personne. Le centre de consultation communique à la maternité les propositions de prénom, et le nom du Land dans lequel vit la femme (nécessaire pour les procédures de prise en charge des frais). Parallèlement, le centre de consultation communique au service de l’aide sociale à l’enfance et à la jeunesse compétent (c’est-à-dire celui du lieu de naissance de l’enfant) le pseudonyme de la femme, la date prévue de la naissance, le nom de l’établissement (ou de la personne chargée de l’accouchement à domicile) dans lequel la femme est inscrite pour accoucher. Immédiatement après la naissance, le directeur/la directrice de l’établissement dans lequel la femme a accouché doit communiquer au centre de consultation la date et le lieu de naissance de l’enfant. Les services d’état civil communiquent à l’office fédéral pour la famille et les affaires civiles et sociales (OFFAC, Bundesamt für Familie und zivilgesellschaftliche Aufgaben) le prénom acté de l’enfant ainsi que le pseudonyme de la mère. Les messages supplémentaires éventuellement laissés par la mère à l’enfant seront transmis par le centre de consultation aux services d’adoption et déposés dans le dossier de l’enfant. Pour les enfants non adoptés, les messages sont transmis à l’OFFAC.


     Le futur article 27 SchKG est relatif au maniement des informations relatives à l’origine maternelle de l’enfant. Dès lors qu’il est informé de la naissance de l’enfant, le centre de consultation transmet de manière sécurisée l’enveloppe contenant les informations relatives à l’origine de l’enfant à l’OFFAC. L’OFFAC note le prénom de l’enfant transmis par les services d’état civil sur l’enveloppe.


     Le futur article 28 SchKG dispose que les centres de consultations (définis par les articles 3 et 8 SchKG) peuvent tous procéder aux entretiens relatifs aux accouchements confidentiels dès lors que la réalisation de l’accouchement confidentiel, conformément aux règles de ce chapitre, peut être assurée par la suite. Ils doivent notamment disposer du personnel suffisant et compétent. Afin d’assurer l’effectivité du système, la deuxième partie du projet de loi – relatif à la justification des dispositions proposées – (Begründung) précise que le droit de refuser de témoigner (Zeugnisverweigerungsrecht) déjà acquis par le personnel des centres dans le cadre de leurs prérogatives habituelles s’étend également aux procédures d’accouchement confidentiel.


     Le futur article 29 SchKG prévoit les cas de consultations en dehors du centre. Le directeur/la directrice d’un établissement qui accepte une femme enceinte refusant de décliner son identité, doit prévenir au plus vite un centre de consultation. Le centre, une fois informé, s’assure que l’on propose à la femme une consultation relative à l’accouchement confidentiel. La partie II du projet de loi précise que la femme peut refuser entièrement ou partiellement l’entretien. Dans ce cas, l’enfant ne naîtra pas dans le cadre de la procédure officielle d’accouchement confidentiel. Les conséquences juridiques qui y sont rattachées n’en découleront donc pas (prise en charge des frais, dispense de l’obligation d’enregistrement, etc.) et les différent.e.s acteur.e.s concerné.e.s se retrouveront dans la même situation que celle prédominante avant l’entrée en vigueur de la loi (décrite en I.B supra). Le nouvel article 30 SchKG précise que le centre doit proposer une consultation même après la naissance de l’enfant. Si lors de l’entretien, la mère déclare vouloir récupérer l’enfant, le centre doit l’informer des aides notamment financières proposées aux parents et doit s’assurer qu’elle obtienne effectivement ces aides.


     Le futur article 31 SchKG règlemente la question du droit d’accès de l’enfant aux informations identifiant sa « mère ». Dès l’âge de 16 ans, l’enfant né confidentiellement a en principe le droit d’accéder aux informations relatives à ses origines maternelles ou d’en obtenir une copie. Dès les 15 ans de l’enfant, la mère peut cependant s’opposer auprès d’un centre de consultation au droit d’accès de l’enfant, en faisant valoir que cela va toujours à l’encontre de ses intérêts. Le centre doit alors informer la mère des aides susceptibles d’améliorer sa situation de telle sorte que l’accès de l’enfant à ses origines n’aille plus à l’encontre de ses intérêts, ne constitue plus, pour elle, un risque ou un danger. Le centre doit également informer la mère de la possibilité pour l’enfant de faire judiciairement valoir son droit d’accès (Einsichtsrecht). « La mère doit comprendre la portée de sa décision de refus, c’est-à-dire comprendre qu’elle porte atteinte au droit fondamental de l’enfant à la connaissance de ces origines » (Partie II du projet de loi). Si la mère reste sur ses positions et refuse l’accès de l’enfant, elle doit communiquer au centre le nom de la personne (physique ou morale) qui la représentera et fera valoir ses droits lors de l’éventuelle procédure judiciaire. Ce représentant n’a pas le droit de communiquer l’identité de la mère sans son consentement. Le centre communique au plus vite la décision de la mère à l’OFFAC. Celui-ci doit refuser l’accès de l’enfant jusqu’à la fin de la procédure judiciaire et ne peut ensuite lui accorder que par une décision ayant autorité de la chose jugée l’y autorisant.


    Le futur article 32 SchKG décrit ladite procédure judiciaire devant le juge aux affaires familiales (JAF). « C’est parce qu’il s’agit de la question relative au droit de l’enfant à la connaissance de ces origines, un droit très proche de la filiation, que le JAF est compétent (alors qu’il ne s’agit pas à proprement parler de la matière familiale) ». Si l’OFFAC bloque – à la suite de la décision de refus de la femme – l’accès de l’enfant à son dossier, ce dernier peur saisir le JAF qui devra alors décider si les intérêts de la mère à conserver son anonymat sont supérieurs à ceux de l’enfant à la connaissance de ses origines. Les dispositions de droit commun sont applicables à la procédure. Les différentes parties sont l’enfant, l’OFFAC et le/la représentant.e de la mère. Le juge peut demander à auditionner en privé personnellement la mère. Afin de respecter le principe du contradictoire, il doit communiquer aux parties une copie anonyme du protocole d’audition. Même si la mère n’est pas partie directe au procès, elle est liée par la décision du juge. Si le représentant et la mère ne se manifestent pas pendant le délai imparti par le juge, il sera supposé que les intérêts de l’enfant priment sur ceux de la mère. De telle sorte, la mère ne peut pas simplement disparaître pour garantir ses intérêts. Cette présomption vaut également lorsque la mère est décédée. Si la demande de l’enfant est rejetée, celui-ci pourra après un délai écoulé de 3 ans, déposer une nouvelle demande auprès du JAF. En effet, la seconde partie du projet de loi justifie cette possibilité en expliquant qu’une conciliation entre les droits fondamentaux est toujours très dépendante du contexte dans lequel elle a lieu. Le résultat de cette « mise en balance » pourrait donc être différent si les circonstances de la cause sont autres.


     Le nouvel article 33 SchKG impose aux centres de consultation de tenir une documentation précise. Il doit prendre en note sous le pseudonyme de la mère chaque entretien. Il doit établir un rapport annuel sur la base de la documentation rédigée après chaque entretien et le remettre aux autorités compétentes du Land (c’est-à-dire à l’OFFAC). Afin d’assurer une harmonisation nationale sur cette question, le future article 34 SchKG prévoit la prise en charge des frais par les Länder, et ce indépendamment de l’assurance maladie (privée ou publique) souscrite par la mère. Le Land financièrement compétent est celui dans lequel la femme a sa résidence habituelle. Si la femme abandonne son anonymat er récupère son enfant, le Land peut ensuite réclamer auprès de l’assurance maladie de la mère le remboursement des frais préalablement pris en charge. Le Land devrait dès lors se voir rembourser une grande partie des frais pris en charge puisque selon les statistiques de l’étude de l’Institut allemand pour la jeunesse (op cit), 70% des femmes renonceront à leur anonymat (sur approximativement 100 enfants remis anonymement).


     Publicité – Afin d’aider au mieux les femmes enceintes en situation de détresse, les procédés existants et futurs devront être l’objet d’une large publicité. Une ligne téléphonique d’urgence devrait être mise en place 24h/24h. « L’existence de cette hotline doit être rendue publique, promue et divulguée à l’échelle nationaleLes conseillers de cette ligne d’urgence offrent une première consultation et interviennent en situation de crise, et communiquent à la femme enceinte l’adresse du centre de consultation le plus proche. En cas d’accouchement imminent, la femme enceinte est directement dirigée vers une maternité » (Partie II du projet de loi). Une divulgation massive des aides proposées et notamment de la possibilité d’obtenir un entretien anonyme doit être mise en place.


    Le texte semble ainsi avoir tout prévu. Sera-t-il dès lors délivré des critiques précédemment formulées quant à son incompatibilité avec le droit positif ?


B – Une tentative d’adéquation avec le droit positif


    Il ne s’agit évidemment pas d’affirmer ici que la loi sera dispensée de toute remarque négative ou de la déclarer conforme au droit positif. Il est par exemple probable (voire même évident) que la doctrine allemande naturaliste – qui défend un modèle de filiation reposant sur la nature – continuera de désapprouver la possibilité maintenant officiellement ouverte aux femmes d’accoucher anonymement. La loi fait d’ailleurs déjà l’objet de critiques (principalement relatives à la non-suppression des Babyklappen, mais également à la suspension automatique de l’autorité parentale de la mère, ou à la question des droits des pères, etc.) d’autant plus qu’elle touche une question particulièrement dérangeante, celle de savoir si l’on peut naître sans mère (Cécile Ensellem, Naître sans mère ?, op. cit, p.9) ou si une femme peut renoncer à sa maternité (Mutterschaft), laquelle est pourtant constitutionnellement protégée en Allemagne par l’article 6 alinéa 4 LF).


    Il s’agit davantage de souligner quelques points intéressants principalement quant à la question de la constitutionnalité du texte. Juridiquement, il semble en effet que la loi ait tenté de palier les critiques précédemment exprimées (concernant par exemple l’absence de législation claire, précise et unifiée sur le sujet), et notamment celle relative à l’incompatibilité d’un tel procédé avec le droit positif en insistant sur l’importance de la « conciliation » des droits fondamentaux.


     Droit civil et droit pénal – En autorisant légalement un tel comportement, l’Etat fait en sorte que les différent.e.s acteur.s/actrice.s concerné.e.s n’encourent plus de poursuites pénales (furent-elles théoriques). En prévoyant la modification des normes de droit civil concernées, le texte semble également avoir entendu rendre compatible l’accouchement confidentiel avec le droit de la famille et le droit de la filiation.


    Concernant la constitutionnalité du texte, le verdict définitif reviendrait bien évidemment à la Cour constitutionnelle allemande (Bundesverfassungsgericht) si celle-ci venait à être saisie. Il est évident que le procédé n’est pas à l’abri d’une annulation pour violation des articles 6 (droit à la famille) et 2 al. 1 en relation avec l’article 1er LF (droit à la connaissance de ses origines) de la Loi fondamentale. Il faut cependant souligner le fait que le texte insiste sur la mise en place « d’une procédure juste vis-à-vis des différents intérêts en jeu. D’un côté, l’Etat doit garantir le droit à la connaissance de ses origines. De l’autre, la transmission de données personnelles va à l’encontre de l’intérêt de la mère à garder le secret. Le texte propose dès lors une solution équilibrée (…) ». Pour ce faire, le mécanisme proposé par le projet de loi combine le « système de l’enveloppe » (suivi également par la France) et le « système de la consultation » qui existe déjà en Allemagne dans le cadre de l’interruption de grossesse. En Allemagne, lorsqu’une femme souhaite interrompre sa grossesse, elle doit en effet assister à un entretien psycho-social dispensé par ces centres de consultations (articles 5 et s. SchKG). Ce n’est qu’après l’obtention d’une attestation distribuée par ledit centre qu’elle pourra légalement se faire avorter. En principe, cette consultation doit être, selon le texte de la SchKG, à « résultat ouvert », c’est-à-dire qu’elle ne doit pas chercher à influencer la décision de la femme (l’article 219 Code pénal allemand indique cependant que le but de l’entretien est d’encourager la femme à envisager une vie avec l’enfant).


    Ce système de l’entretien (Beratungssystem) est, selon une décision de la Cour constitutionnelle de 1993, le seul qui puisse permettre de concilier les droits fondamentaux de l’enfant et ceux de la mère, et d’autoriser dès lors des IVG à titre exceptionnel (en principe toujours pénalement interdites). Dans les faits, les IVG ne sont pas pratiquées qu’à titre exceptionnel et la pénalisation (article 218 StGB) reste avant tout théorique. Néanmoins, cette décision explique l’actuelle construction juridique du système abortif allemand : constitutionnel car fondé sur un entretien psycho-social. En 1975, une décision de la Cour constitutionnelle avait considéré le système abortif mis en place par le législateur de l’époque comme inconstitutionnel. Il avait estimé que le droit à la vie du fœtus primait sur le droit à l’autonomie de la femme et que celui-ci n’était pas suffisamment garanti par la loi soumise à son contrôle. Dans cet arrêt, il avait cependant autorisé le législateur à moduler cette interdiction dès lors que la poursuite de la grossesse était insupportable pour la femme et ce par d’autres techniques juridiques que la menace pénale, dès lors que l’ensemble des mesures utilisées garantissaient la protection de la vie à naître. Le juge constitutionnel ajoutait que si la protection constitutionnelle de la vie ne pouvait pas être atteinte par d’autres mécanismes que le droit pénal, le législateur serait alors obligé d’en revenir à celui-ci.


    En 1993, lorsque la Cour constitutionnelle est à nouveau saisie de la question de la constitutionnalité de l’avortement, elle estime que l’obligation pour les femmes de se présenter à un entretien psycho-social permet une protection suffisante de la vie à naître. Le« système de la consultation » est en effet considéré comme servant une conciliation juste et équilibrée des droits fondamentaux concernés ; le centre de consultation devant tout à la fois comprendre la situation de la femme et défendre indirectement les intérêts de l’enfant (droit à la vie et/ou droit à la connaissance de ses origines, protégé notamment par le caractère subsidiaire de l’accouchement confidentiel). Il est dès lors intéressant de noter que la procédure d’accouchement confidentiel se soit en grande partie calquée sur ce modèle : consultation obligatoire pour pouvoir « profiter » des bénéfices de la loi et entretien en théorie également « à résultat ouvert », mais qui doit lui aussi encourager la femme à envisager une vie avec l’enfant.


    De plus, si le centre devait « échouer » dans sa mission et que la femme refusait à l’enfant d’accéder à ses origines à compter de ses 15 ans, c’est alors l’autorité judiciaire qui interviendrait pour mettre en balance les droits fondamentaux de l’enfant et de la mère. L’intervention du juge permet de garantir une conciliation juste des droits en présence et dès lors de minimiser les risques relatifs à l’inconstitutionnalité du texte.


    La future loi répond ainsi à l’exigence de « proportionnalité » qui a également été imposée par la Cour européenne des droits de l’Homme en matière d’accouchement anonyme ou secret. Elle a en effet imposé de « « ménager […] un juste équilibre […] dans la pondération des droits et des intérêts concurrents ». Une comparaison des deux arrêts de la Cour relatifs à l’accouchement « sous X » (Cour EDH, 2003, Odièvre contre France ; 2012, Godelli contre Italie, préc., à ce sujet v. Nicolas Hervieu, « L’accouchement anonyme à l’épreuve européenne du droit à la connaissance de ses origines » [PDF] in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 29 sept. 2012) indique que la conventionalité de la pratique exige qu’il existe une possibilité pour l’enfant  – fût-elle minime –  de connaître des informations relative à ses origines maternelles. En 2003, la Cour ne condamne pas, par conséquent, la procédure française car le mécanisme garantissait à la fois la protection de l’intérêt général (la législation française permettait à la fois la protection de la santé de la mère et de l’enfant, la lutte contre les IVG clandestins et contre les abandons sauvages) et la possibilité pour l’enfant de connaître quelques informations relatives à sa « mère » (loi du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et des pupilles de l’Etat, op. cit).


    Elle a en revanche condamné l’Allemagne en 2012 pour violation du droit à la vie privée (article 8 de la Convention), en considérant que l’Etat ne ménageait pas un équilibre suffisant entre les droits et les intérêts concurrents en cause (le système étant tel que l’enfant ne pouvait connaître aucune information sur sa génitrice). Une évolution qui peut certes sembler inquiétante concernant la protection des droits des femmes mais qui devrait en revanche garantir à l’Allemagne la conventionalité du processus tout juste mis en place. Conventionalité qui ne garantit certes pas nécessairement la constitutionnalité du procédé mais qui devrait tout de même constituer un indice en sa faveur puisque la jurisprudence de la CEDH doit en principe être prise en compte par la Cour de Karlsruhe lors de l’interprétation des droits fondamentaux (Auslegung der Grundrechte) (Rolf Schmidt, « Zur Bedeutung der EMRK und der Rechtsprechung des EGMR für die nationale Rechtsordnung – Zugleich Besprechung von BverfG, Urteil v. 14.10.2004, und Beschluss v. 28.12.2004 », janv. 2005, p. 1, disponible sur juraplus.de).


    Ainsi, le texte de la future loi devrait a priori assurer la compatibilité du procédé au droit civil et pénal positif. La constitutionnalité de la loi n’est certes pas garantie, le sujet étant particulièrement sensible en Allemagne, mais la technique juridique adéquate (du « système de la consultation » comme conciliation) semble avoir été utilisée pour éviter autant que possible la censure de la loi. En effet, ce mécanisme a été validé dans le cadre de l’interruption de grossesse, sujet pourtant lui aussi extrêmement sensible. De plus, il n’y a pas de raison actuelle de penser qu’une telle législation pourrait entraîner la condamnation de l’Allemagne devant la CEDH : l’adéquation manifeste du procédé avec la Convention européenne des droits de l’homme constitue, partant, un indice en faveur de la constitutionnalité a priori de la future loi. Cependant, même si les processus français et a priori allemand sont tous deux conventionnels en ce qu’ils garantissent une possibilité pour l’enfant d’accéder à des informations maternelles identifiantes, ils ne sont pas comparables en tout point.


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3°/-  Un accouchement sous X « à la française » en Allemagne ?


    Comme il a été mentionné en introduction, la réponse à cette question tend encore vers la négative. Même s’il est évident que la montée en puissance du droit à la connaissance de ces origines en France tend à rapprocher les deux mécanismes (A), certaines différences importantes permettent encore de remarquer les particularités du processus français et de nier l’existence d’un véritable accouchement sous X en Allemagne (B).


A – Un affaiblissement de l’accouchement sous X en France : vers toujours plus de « conciliation » à l’allemande


     L’influence croissante du droit à la connaissance de ses origines – L’accouchement sous X a été introduit juridiquement en France en 1993. Depuis, « lors de l’accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé » (article 326 du Code civil). Dans ce cas de figure, les informations personnelles de la femme ne sont pas inscrites sur l’acte de naissance (article 58 du Code civil). A l’époque de son instauration, l’accouchement sous X était également une fin de non recevoir à l’action en recherche de maternité. Il s’agissait d’une véritable fiction juridique en ce que la femme était réputée ne jamais avoir accouché de l’enfant.


    Depuis, le mécanisme a subi des modifications : la loi du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et des pupilles de l’Etat, qui a notamment instauré le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP), a voulu favoriser l’accès de l’enfant à ses origines personnelles. Par conséquent, les femmes sont depuis 2002 encouragées à laisser des informations identifiantes à l’enfant. L’article 222-6 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) dispose en effet que « toute femme qui demande, lors de son accouchement, la préservation du secret (…) est informée de l’importance pour toute personne de connaître ses origines et son histoire. Elle est donc invitée à laisser, si elle l’accepte, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l’enfant et les circonstances de la naissance ainsi que, sous pli fermé, son identité ». Elle peut de plus renoncer à tout moment à son anonymat en procédant après du CNAOP à une déclaration expresse de levée du secret (article 147-2 CASF). Par la suite, la loi du 16 janvier 2009 a supprimé l’existence de la fin de non recevoir à l’action en recherche de maternité. Ces deux réformes ont contribué à affaiblir le mécanisme tel qu’il avait été mis en place en 1993. Si l’enfant ne peut certes pas connaître en théorie l’identité de sa génitrice contre sa volonté, il pourrait malgré tout- s’il venait à la découvrir – intenter à son encontre une procédure judiciaire en recherche de maternité. Mais que se passera-t-il si la femme a – de son plein gré – laissé des informations identifiantes (en vertu de la loi du 22 janvier 2002) ? « Acceptera-t-elle encore de le faire si elle craint, à tort ou à raison, [que l’enfant] ne soit pas adopté et que le secret soit un jour dévoilé contre sa volonté ? Ne laissera-t-elle pas une enveloppe vide, à l’opposé de l’objectif de la loi de 2002 ? » (Frédérique Granet – Lambrechts, « Ratification de l’ordonnance du 4 juillet 2005 réformant le droit de la filiation : les modifications », AJ Famille, 2006, p. 76).


    Il est en effet possible de douter de la propension de la femme à laisser des informations identifiantes alors même qu’une action en recherche de maternité est possible. La même question se pose d’ailleurs en Allemagne : la femme ne risque-t-elle pas de continuer à procéder à des accouchements anonymes (non officiels) ou à des remises d’enfant dans des Babyklappen plutôt que de prendre le risque que son identité soit relevée à la suite d’une procédure judiciaire ? Ou même encore que le lien de filiation en soit reconnu ? La future loi ne se prononce certes pas sur la question mais il n’est pas exclu que le lien de filiation puisse être reconnu : premièrement, car l’accouchement est le seul fait générateur de l’établissement de la filiation maternelle (or, le droit allemand ne procède pas à une fiction juridique selon laquelle la femme n’aurait jamais accouché – il suspend seulement son autorité parentale) et, deuxièmement, car le lien biologique joue un rôle important en droit allemand de la filiation (v. notamment la possibilité de faire établir la filiation de l’enfant avec le donneur de sperme dans le cadre d’une procréation médicalement assistée, Rainer Frank « La signification différente attaché à la filiation par le sang en droit allemand et français de la famille », RIDC, vol. 45, 1993 ou encore Françoise Furkel, « Le droit à la connaissance de ses origines en RFA », RIDC, vol. 49, 1997).


    Ainsi et à l’instar du nouveau mécanisme allemand, le droit à la connaissance de ses origines semble avoir gagné en puissance en France, et ce au détriment des intérêts de la femme à la conservation (absolue) du secret.  Historiquement, comme il l’a été dit, les préoccupations de santé publique (très présentes de manière générale en France) ont guidé dès l’origine l’instauration de l’accouchement sous X. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs rappelé l’importance de la protection de la santé dans ce mécanisme : « le législateur a entendu éviter le déroulement de grossesses et d’accouchements dans des conditions susceptibles de mettre en danger la santé tant de la mère que de l’enfant et prévenir les infanticides ou des abandons d’enfants ; qu’il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé » (CC, décision n° 2012-248, QPC du 16 mai 2012, M. Mathieu E. [accès aux origines personnelles]). La paradigme de la connaissance de ses origines, qui n’est apparu que par la suite, tend à modifier le mécanisme originaire. Il s’inscrit dans un mouvement plus général de « reflux des droits des femmes à mesure que l’intérêt de l’enfant ne pénètre la sphère juridique » (sur ce point, v. dossier thématique Les droits des femmes face à l’essor de l’intérêt de l’enfant, par Marie-Xavière Catto, Thomas Dumortier et Tatiana Gründler, Revue des droits de l’Homme, n° 3, juin 2013).  L’exigence de santé publique semble toutefois toujours primer puisque la femme ne peut être contrainte de révéler son identité. On peut se demander si un système tel que celui mis en place en Allemagne, faisant primer le droit à la connaissance de ses origines et permettant de contraindre la femme à révéler son identité, serait considéré en France comme portant atteinte à l’exigence de santé publique, et a fortiori à l’intérêt général, la protection de la santé publique visant la collectivité et primant de ce fait sur des revendications individuelles, telles que celles de l’enfant.


     En Allemagne, le législateur a voulu concilier les exigences de santé publique, de protection de la vie à naître et de connaissance des origines dès la formation de la loi, ce qui peut en partie expliquer les différences de construction des deux systèmes : le projet de loi allemand semble porté par l’idée générale d’une nécessaire conciliation des intérêts en cause, d’un compromis. Le projet de loi en tente à la fois d’insister sur l’importance de garantir de bonnes conditions sanitaires à l’accouchement de la femme (« l’objectif prioritaire de l’entretien est que la femme obtienne l’aide nécessaire afin d’exclure les risques liés pour l’enfant et la mère à un accouchement non médicalisé ») et sur la nécessité de garantir la connaissance de ses origines dans la construction de son identité.


B – La place de la volonté dans la construction juridique de la maternité: des différences franco-allemandes


     Ainsi, bien que le système français tende clairement à se rapprocher du système allemand sur la question de la connaissance de ses origines, il persiste encore des différences importantes entre les deux mécanismes, liées à différentes conceptions de la volonté dans la construction juridique de la maternité. Premièrement, le projet de loi allemand ne repose pas sur l’’idée d’une fiction juridique, ce qui laisse encore sans réponse les questions relatives à la filiation maternelle (en cas d’action en recherche de maternité par exemple). Deuxièmement, la procédure d’accouchement confidentiel en tant que telle reste différente puisque le droit allemand – à la différence du droit français – conditionne son accès à un entretien, et son issu à une procédure judiciaire.


     La fiction juridique. Comme il a été mentionné précédemment, le droit français procède en théorie à une fiction juridique (notons que la filiation maternelle étant en principe établie par un acte volontaire de reconnaissance, il est par ailleurs étonnant qu’il faille nier l’accouchement pour nier le lien de filiation, sur ce point v. Marcela Iacub, L’empire du ventre. Pour une autre histoire de la maternité, Paris, Fayard, Histoire de la pensée, 2004). Par le biais de cette fiction, la femme peut entièrement renoncer à sa maternité. Ce n’est pas le cas du droit allemand qui considère que la femme a bien accouché. La question se pose alors de savoir si elle est encore juridiquement la mère de l’enfant : en théorie, elle l’est dès la naissance et le reste jusqu’à un éventuel jugement définitif d’adoption, puisque l’accouchement est le seul fait générateur du lien de filiation. En pratique, le mécanisme d’accouchement confidentiel prévoit la suspension de l’autorité parentale. La femme ne peut donc pas exercer ses prérogatives parentales (1675 alinéa 2 BGB) et son statut de « mère » n’est donc qu’une coquille vide attendu qu’il n’est juridiquement pas possible d’être effectivement parent sans exercer l’autorité parentale. Dès lors, pourquoi ne pas tout simplement calquer la fiction française et prétendre que la femme n’a pas accouché de l’enfant ? Certainement parce que symboliquement, une telle déclaration est impossible dans un système juridique qui naturalise le lien de filiation et sacralise en particulier le lien maternel, et qu’il faudra en outre pouvoir ensuite contraindre (judiciairement) la femme à révéler son identité ce qui implique de considérer qu’elle a bel et bien accouché.


     Le lien de filiation. L’enfant né sous X et adopté confidentiellement pourra-t-il en Allemagne intenter une action judiciaire en recherche de maternité ? Une telle possibilité est à l’heure actuelle inconnue du droit allemand : la femme qui accouche est la mère de l’enfant. Si celle-ci l’abandonne, officieusement, voire illégalement, par le biais d’une remise anonyme d’enfant ou d’un Babyklappe, elle reste malgré tout la mère de celui-ci jusqu’à un jugement définitif d’adoption (article 1759 BGB). Seule la pratique contentieuse pourra indiquer la façon dont les juges interprèteront le texte : en transformant le droit à la connaissance de ses origines en un droit à une filiation « biologique » (en imitant par exemple le modèle existant de l’action en recherche de paternité) ou en faveur des femmes accouchant confidentiellement et refusant, partant, d’être la mère de l’enfant.


     L’entretien. La présence obligatoire ou non de l’entretien psycho-social constitue une grande différence entre la France et l’Allemagne. De la même manière que le caractère obligatoire de l’entretien pré-IVG a été supprimé en France (art. 2212- 4 Code de santé publique) la demande d’accouchement sous X n’est pas obligatoirement soumise à un entretien. Dans les deux cas, la femme peut le demander, mais il n’est pas imposé. La femme est bien évidemment informée des conséquences juridiques d’un accouchement sous X et, depuis 2002, de l’importance de la connaissance pour l’enfant de ses origines (ce qui pourrait déjà être considéré comme une ingérence/influence disproportionnée des autorités étatiques dans son « droit » à décider librement), mais elle ne doit pas obligatoirement se présenter dans un centre de consultation spécialisé si elle veut bénéficier des avantages juridiques de l’accouchement sous X. L’obligation de « conformité bibliographique » (v. Dominique Memmi, Faire vivre et laisser mourir. Le gouvernement contemporain de la naissance et de la mort, La découverte, 2003, v. résumé) a semble-t-il été textuellement supprimée.


    En revanche, en Allemagne, l’entretien est la clé de voute du fonctionnement de ces deux systèmes (abortif et accouchement secret), tout deux ayant d’ailleurs trait au pendant négatif de la liberté procréative : ainsi, la décision de ne pas être mère doit être soumise à l’appréciation d’un organisme compétent. La femme est considérée comme ne pouvant pas (de facto et de jure) prendre seule une telle décision. L’Etat ne la jugerait-il pas apte? (pour une brève analyse du « Beratungssystem », v. notamment Mary Anne Case, “Perfectionism and Fundamentalism in the Application of the Geman Abortion Laws”, in Susan H. Williams (dir.), Constituting Equality : Gender Equality and comparative constitutional Law, Cambridge University Press, 2011, p.102). L’entretien est construit comme un nouveau moyen de contrôle indirectement étatique : l’Etat délègue par cette loi son pouvoir de contrôle aux centres de consultation. Une nouvelle forme de « social engineering » (Sozialtechnik) selon Silja Samerski (v. Silja Samerski, « Entmündige Selbstbestimmung », in Sigrid Graumann, Ingrid Schneider (dir.) Verkörperte Technik – Entkörperte Frau- Biopolitik und Geschlecht, Politik der Geschlechterverhältnnisse, Campus Verlag, 2003).


    Comme il a été mentionné supra, l’entretien est en théorie à « résultat ouvert » c’est-à-dire que le conseiller ou la conseillère ne doit pas influencer la femme dans sa décision et doit lui permettre de prendre une « décision autonome ». Le projet de loi (Partie II) indique « qu’un entretien « paternaliste » (bevormundend) (visant à dicter sa conduite à la femme/à mettre la femme sous tutelle) ne produirait aucun résultat sur le long terme et doit pour cela être interdit. Il convient au contraire de permettre à la femme de prendre une décision autonome (…) Elle est exemptée de toute obligation de se justifier ». Cependant, la lecture du texte laisse apparaître d’autres objectifs à l’entretien que la seule réalisation d’une décision autonome de la femme : ainsi est-il par exemple possible de lire que « le but primaire de l’entretien est de montrer aux femmes les différentes alternatives qui s’ouvrent à elle et les moyens qui lui permettent d’envisager une vie avec l’enfant », que « l’objectif prioritaire de l’entretien est de faciliter l’abandon par la femme de son anonymat et à terme de lui proposer l’aide lui permettant de récupérer l’enfant », qu’« il convient – lors de la consultation à ‘résultat ouvert’- de montrer les différentes alternatives qui se présentent à la femme et par ce biais le moyen pour elle de garder l’enfant ou tout du moins de renoncer à son anonymat », qu’« il convient d’assurer la propension de la femme à partager avec l’enfant des informations personnelles et des données relatives à ses origines », que « la mère doit comprendre la portée de sa décision », qu’« il est important de stimuler la propension de la mère à laisser le plus d’informations possibles relatives aux origines de l’enfant » ou encore que « par le biais de l’entretien, la propension de la mère à abandonner son anonymat (…) doit être encouragée ».


    De plus, comme mentionné supra, la possibilité d’un l’accouchement confidentiel ne peut en théorie être abordée que de manière subsidiaire. Ainsi, le projet énonce que « seulement ensuite [après l’énonciation des différentes autres alternatives], la possibilité de l’accouchement confidentiel est présentée », ou que « l’entretien relatif à l’accouchement confidentiel n’a lieu qu’une fois que les différentes autres alternatives ont été épuisées car le procédé porte atteinte aux droits de l’enfant. » (« Sie darf erst nach Ausschöpfung der dort vorgesehenen Lösungsmöglichkeiten erfolgen. Denn vor der Durchführung der in die Rechte des Kindes eingreifenden vertraulichen Geburt müssen alle anderen Möglichkeiten der Konfliktbewältigung ausgeschöpft werden »). Cette exigence de subsidiarité pourrait sembler « hiérarchiser » les intérêts en cause.


    Ainsi, les objectifs peuvent sembler à première vue inconciliables les uns avec les autres puisque l’entretien doit à la fois être à résultat ouvert, c’est-à-dire garantir l’autonomie de la femme, tout en protégeant les intérêts du futur enfant en encourageant la mère a ne pas accoucher confidentiellement. Une contrariété certainement inévitable dans la mesure où le législateur a tenté de concilier des intérêts de toute manière per se inconciliables.


     La procédure judiciaire. En France, l’action en recherche de maternité est en principe possible. Toutefois, si la femme refuse de donner son identité – et elle peut (de jure et de facto) parfaitement refuser –, l’enfant ne pourra jamais la connaître, et il existera bel et bien un obstacle à une telle action. De plus, elle peut également mentir sur son identité, puisqu’« aucune pièce d’identité n’est exigée et il n’est procédé à aucune enquête » (article 222-6 alinéa 3 CASF). En somme, il existe encore une réelle possibilité pour la femme de rester complètement anonyme, quelles que soient les raisons, le refus de la femme suffit.


    En Allemagne, la femme ne peut pas refuser de donner son identité au centre de consultation qui est en charge de la procédure. Il doit même vérifier à l’aide d’une pièce d’identité valable les informations qu’elle lui fournit (article 7 de la loi, prochain article 26 alinéa 2 de la SchKG). La procédure est construite de telle sorte que la femme peut seulement refuser que des tiers y aient accès (l’enfant en premier lieu et le personnel des établissements et institutions ensuite concernés), pendant un certain temps. En effet, son anonymat n’est garanti que pendant les 16 premières années qui suivent la naissance. Après cela, on passe d’un « accouchement anonyme » à un « accouchement secret », c’est-à-dire que l’enfant a le droit d’exiger l’accès aux données identifiantes. Il peut même faire valoir ce droit en justice. Lors de la procédure judiciaire, si le juge estime que les intérêts de la femme à garder le secret (étant entendu que le texte entend par là qu’un risque doit peser sur son intégrité physique, sa vie, sa liberté individuelle ou un autre intérêt protégé) ne sont pas supérieurs aux intérêts de l’enfant à accéder auxdites données, il peut autoriser l’enfant à ouvrir l’enveloppe sans l’autorisation de la femme. Il n’existe dès lors pas de réelle possibilité pour la femme de garder, quoi qu’il arrive, son identité inconnue.


    L’anonymat n’est que temporairement garanti pour protéger une femme en situation de détresse. Si la situation de la femme venait à s’améliorer, le système allemand considère qu’elle n’aurait plus d’intérêts valables à cacher son anonymat. A la différence du droit français, le simple fait pour la femme de ne pas vouloir révéler son identité ne suffit pas à lui garantir l’anonymat : il est ainsi clair que le mécanisme allemand ne repose pas sur l’idée d’une renonciation volontaire de la femme à sa maternité. Il s’agit là d’une différence capitale entre le mécanisme français et le mécanisme allemand : en France, la femme peut refuser de décliner son identité et donc de devenir la mère de l’enfant (à la suite d’une éventuelle action judiciaire en recherche de maternité), alors qu’en Allemagne, une telle possibilité lui est refusée. La place qu’occupe la volonté dans la construction juridique de la maternité n’est donc pas la même.


     La conciliation des droits fondamentaux. Cette limitation temporelle de l’anonymat est liée au fait que les intérêts de la femme considérés comme étant en cause dans cette procédure ne se situent pas constamment au même rang hiérarchique. L’enfant a, lui, toujours un droit constitutionnellement garanti à la connaissance de ses origines. La femme, quant à elle, a également – au début de la procédure  –   des droits fondamentaux à protéger, puis, 16 ans après la naissance, seulement des « intérêts à protéger ». Ainsi, lorsque la femme enceinte se trouve dans une situation de détresse, le texte estime que son équilibre psychologique, et donc a fortiori sa vie et sa santé ainsi que celles de l’enfant sont mis en danger. Dès lors, il est du devoir de l’Etat de protéger ses droits fondamentaux et, qui plus est, ceux de l’enfant : dans ce cas de figure, la conciliation des droits fondamentaux en jeu ouvre la possibilité pour la femme de garantir son anonymat. En revanche, le texte considère que cette situation de détresse (i.e. de danger) n’est pas éternelle. Grâce notamment à l’aide du centre, la situation de  la vie personnelle de la femme va s’améliorer,  ses droits fondamentaux  (à la vie ou à la santé) ne seront donc a priori plus mis en cause. Dès lors, la mise en balance ne se fait plus qu’entre le « droit fondamental » de l’enfant à la connaissance de ces origines et des « intérêts protégés » de la femme. Les termes « intérêts protégés » et non « droit fondamental » laissent entendre que les intérêts de la femme se situent à un rang juridique hiérarchiquement inférieur à ceux de l’enfant ; le droit fondamental étant situé au sommet de la pyramide des normes.


    La conciliation aurait pourtant été toute autre si les fondements juridiques sous-tendant le projet avaient été différents : il aurait en effet été théoriquement possible de considérer que c’était au nom de la liberté personnelle (du droit de disposer de soi-même, de décider pour soi et de se comporter librement) et du droit à l’autonomie (article 2 al. 1, en relation avec l’article 1er  LF)) qu’une telle possibilité était ouverte à la femme (arguments constitutionnels pour la légalisation de l’accouchement anonyme cité dans l’avis du Conseil d’éthique, op. cit). En France, par exemple, la mise en balance se fait entre des normes de rang équivalent : « intérêt de la mère » d’un côté et « intérêt de l’enfant » de l’autre (le droit d’accès à ses origines n’étant pas constitutionnellement garanti en France (CC, décision n° 2012-248, préc.). Dès lors, l’accès à la connaissance de ses origines n’est pas encore considéré comme primant sur le droit de la femme à la protection de son anonymat (même si les choses semblent évoluer dans ce sens). Cela semble être en revanche le cas dans le projet de loi allemand : la conciliation entre les intérêts en cause commencent à rang égal (droit fondamental versus droit fondamental) mais finit en faisant primer l’intérêt de l’enfant sur ceux des femmes (à moins bien sûr que celle-ci ait encore des droits fondamentaux à faire valoir : si par exemple sa vie ou sa santé est toujours en danger).


Gesetzentwurf der Fraktionen der CDU/CSU und FDP – Entwurf eines Gesetzes zum Ausbau der Hilfen für Schwangere und zur Regelung der vertraulichen Geburt – Deutscher Bundestag Drucksache 17/12814 17. Wahlperiode 19. 03. 2013


Pour citer ce document :

Laurie Marguet, « Entre accouchement anonyme et accouchement secret, le législateur allemand se saisit de la question de l’accouchement confidentiel », [PDF] in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 14 novembre 2013.


Les Lettres « Actualités Droits-Libertés » (ADL) du CREDOF (pour s’y abonner) sont accessibles sur le site de la Revue des Droits de l’Homme (RevDH)Contact