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13 janvier 2013

Cour suprême des Etats-Unis (XIVème et Vème amendements) : Les juges de Washington se saisissent de la question relative à l’ouverture du mariage en faveur des couples homosexuels


par Céline Fercot


     Le 7 décembre 2012, la Cour suprême américaine a décidé de statuer sur l’ouverture du droit au mariage pour les couples homosexuels. Aujourd’hui reconnu dans neuf Etats sur cinquante, ce dernier est pour l’instant encore prohibé par le droit fédéral, qui stipule qu’un mariage ne peut unir qu’un homme et une femme. Les juges de Washington se réuniront au mois de mars prochain afin d’entendre les différentes parties sur cette question. Ils devraient rendre une décision avant la fin du mois de juin 2013, se prononçant ainsi sur un sujet qui ne cesse de déchaîner les passions, notamment depuis que Barack Obama s’est ouvertement engagé en sa faveur. 


     A l’heure où, en France, défenseurs du « mariage pour tous » et porte-paroles de la « manif pour tous » s’opposent fermement, la question de l’ouverture du mariage en faveur des couples homosexuels ne cesse, outre-Atlantique, de faire l’objet de toutes les attentions, tant sociétales que judiciaires. Le 7 décembre 2012, la Cour suprême américaine a en effet annoncé qu’elle se prononcerait prochainement sur cette question (CS, 7 décembre 2012, 568 U.S. 12-52, 12-135, 12-144, 12-307, 12-416). L’occasion de confronter au principe d’égalité deux textes bien différents, mais qui ont pour point commun de définir le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme : d’un côté, un amendement constitutionnel adopté en Californie (1°), de l’autre, la loi fédérale de défense du mariage, adoptée en 1996 (2°). Une décision fort attendue, aussi bien par les défenseurs que par les détracteurs du mariage pour tous, à l’heure où neuf Etats américains autorisent les couples homosexuels à convoler en justes noces, quand trente et un d’entre eux leur interdisent expressément d’accéder aux sacrements républicains du mariage (3°).


1°/- L’ouverture du droit au mariage et le XIVème Amendement : un enjeu majeur au cœur du fédéralisme américain


     Dans une première affaire, Hollingsworth et v. Perry, la Cour suprême fédérale a d’ores et déjà annoncé qu’elle se prononcerait sur la conformité à la Constitution fédérale d’un amendement constitutionnel californien affirmant qu’un mariage ne saurait unir qu’un homme et une femme.


     Ce premier contexte mérite quelques éclaircissements préalables. La question de l’égalité des droits en matière de mariage (NB : c’est de cela dont il s’agira ici, malgré d’éventuels raccourcis sémantiques de pure forme évoquant, par exemple, la question du « mariage homosexuel ») intègre nécessairement des considérations en lien avec le fédéralisme. Rappelons avant toute chose qu’aux Etats-Unis, les questions relatives à la famille, au mariage et aux unions relèvent du droit fédéré. En vertu du Xème Amendement, les Etats sont compétents dès lors que l’Etat fédéral ne l’est pas. Or, le droit de la famille ne figure pas parmi les compétences énumérées à l’article I Section 8 de la Constitution fédérale. Par conséquent, la seule manière pour l’Etat fédéral d’imposer ses vues aux entités fédérées est de reconnaître formellement les unions maritales homosexuelles, et donc de modifier la Constitution en ce sens.


     Compétents en ce domaine, les Etats fédérés se sont saisis de la question du mariage homosexuel depuis bien longtemps déjà. En Californie, un Etat qui a toujours été à la pointe dans le domaine de la lutte pour l’égalité des droits, le mariage gay avait été brièvement autorisé en 2008. Le 15 mai 2008, la Cour suprême californienne avait en effet, par quatre voix contre trois, choisi d’annuler un article du Code civil adopté par référendum en 2000 et définissant le mariage comme un acte ne pouvant lier qu’un homme et une femme. A cette occasion, les juges de San Francisco avaient rappelé que même si, d’un point de vue historique, le mariage a toujours été limité à une union entre un homme et une femme, « la tradition seule, ne saurait être considérée comme une justification suffisante permettant de perpétuer, sans examen, la restriction ou le déni d’un droit constitutionnel fondamental » (In re Marriage Cases, 43 Cal. 4th 757 [CS Californie, 2008]). La Californie était ainsi devenue – temporairement – le premier Etat à permettre aux couples de même sexe d’accéder au mariage, à une époque où la plus grande timidité était de mise. En 1993, une première tentative avait en effet été initiée dans l’Etat de Hawaii (v. Baehr v. Lewin, 74 Haw. 645, 852 P.2d 44 [CS Hawaï, 1993]), mais elle avait finalement échoué, sous la pression du législateur. De leur côté, l’Etat du Vermont, en 1999 (v. Baker v. State, 744 A.2d 864 [CS Vermont, 1999]), puis le Massachusetts, en 2003 (v. Goodridge v. Department of Public Health, 440 Mass. 309, 798 N.E. 2d 941 [CS Massachusetts, 2003]) s’étaient résolus à n’instaurer qu’une forme d’union civile.


     Novatrice, la consécration du mariage pour tous par la Cour suprême californienne n’avait toutefois été que de courte durée. Quelques mois plus tard, les électeurs californiens avaient en effet choisi de dire « oui », avec 52,24% des suffrages, à la désormais célèbre « Prop 8 » (« Proposition 8 »), laquelle définit le mariage comme « une union entre un homme et une femme » (« one man – one woman provision »). Loin d’être l’aboutissement d’un combat, l’adoption de ce texte avait alors constitué le point de départ d’un duel acharné entre « pro » et « anti » mariage homosexuel. Le 26 mai 2009, la Cour suprême californienne avait validé le résultat de ce référendum, refusant toutefois d’annuler les quelques 18 000 mariages conclus pendant le laps de temps durant lequel ils étaient autorisés (Strauss v. Horton, 207 P.3d 48 [CS Californie, 2009]). Mais plus d’un an plus tard, les détracteurs d’une telle réforme, désireux d’obtenir une application rétroactive de la loi, saisissaient cette fois la justice fédérale. Contre toute attente, le 4 août 2010, la Cour fédérale de San Francisco estimait que le contenu de la Proposition 8 était contraire à la Constitution (Perry v. Schwarzenegger, n° C 09-2292 VRW). Puis, le 21 février 2012, la Cour d’appel fédérale compétente considérait également, par deux voix contre une, que la Proposition 8 avait « ciblé une minorité et lui avait retiré un droit qu’elle possédait, sans raison légitime de le faire » et, partant, que la limitation du mariage aux seuls couples hétérosexuels était inconstitutionnelle (Court of Appeals, 9th circuit, 21 fév. 2012, n° 10-16696, D.C. n° 3:09-cv-02292-VRW). Le juge Stephen R. Reinhardt, écrivant pour la majorité, s’était alors inspiré d’une opinion majoritaire rédigée par le juge Kennedy en 1996 dans le cadre de l’affaire Romer v. Evans. Selon lui, la Proposition 8 rappelait le cas de cet amendement constitutionnel du Colorado interdisant d’adopter à l’avenir toute loi protégeant les homosexuel.le.s (517 U.S. 620 [CS, 1996]), et méritait donc le même traitement.


     C’est ici qu’intervient la décision de la Cour suprême fédérale du 7 décembre dernier. Dans ce dossier, les juges de Washington devront dire si le XIVème Amendement de la Constitution fédérale interdit à la Californie de définir le mariage comme l’union entre un homme et une femme. Au cœur de ce contentieux, le XIVème Amendement dispose qu’« aucun Etat ne fera ou n’appliquera de loi qui restreindrait les privilèges ou immunités des citoyens des Etats-Unis ; ni ne privera aucune personne de vie, de liberté ou de propriété sans le bénéfice des protections dues par le droit [« without due process of law »] ; ni ne refusera à quiconque relève de sa juridiction l’égale protection des lois ». C’est sur cette disposition cruciale, adoptée en 1868, qu’a reposé tout le processus de fédéralisation des droits fondamentaux : la Cour suprême fédérale l’a en effet utilisée comme support normatif en vue d’homogénéiser la protection des droits, c’est-à-dire en vue d’imposer aux Etats fédérés le respect du catalogue fédéral de droits et de libertés. Par là, les juges de Washington ont notamment interdit aux entités fédérées de dénier à quiconque l’égale protection de la loi (v. ainsi Cour suprême, 23 mai 2011, Brown v. Plata, 563 US (2011) – ADL du 3 juin 2011 ; Cour suprême des États-Unis, Fisher v. University of Texas at Austin, Case n° 09-50822 – ADL du 27 octobre 2012). Tout comme l’Etat fédéral, les Etats fédérés doivent donc adopter des lois qui s’appliquent de manière égale à tous les individus qui se trouvent dans des situations similaires, à moins que ne soit en jeu un intérêt impérieux (« compelling interest »). C’est notamment potentiellement le cas lorsqu’un Etat refuse à un groupe particulier d’individus un droit qu’elle accorde à d’autres groupes d’individus, comme en matière de mariage.


     Face à cette question, la Cour suprême a aujourd’hui devant elle plusieurs options. Elle pourra tout d’abord annuler la décision rendue en appel, laissant ainsi en vigueur l’interdiction, en Californie, du mariage homosexuel. Elle pourra également envisager cette question sous un angle plus large, en se demandant si la Constitution fédérale exige des Etats qu’ils autorisent de tels mariages. Mais il est peu probable qu’elle ose s’aventurer sur ce terrain, lesdits Etats exerçant en ce domaine une compétence séculaire et ô combien revendiquée (sur l’articulation entre compétences fédérales et fédérées, v. Cour suprême des États-Unis, 28 juin 2012, National federation of independent business v. Sebelius, 567 U. S. (2012) – ADL du 15 juillet 2012). Elle pourra, enfin, opter pour une solution étroite et intermédiaire. Celle-ci – la plus plausible – consisterait alors à confirmer la solution rendue en première et en seconde instance par les juridictions fédérales, mais dans le strict cadre californien, c’est-à-dire sans pour autant exiger des Etats qu’ils autorisent l’ouverture du mariage en faveur des couples homosexuels.


     Afin de trancher cette épineuse question, les juges de Washington devront donc se prononcer sur le traitement contentieux qu’il convient de réserver aux discriminations fondées sur l’orientation sexuelle. Se trouvent-ils face à un droit qui ne saurait explicitement être qualifié de « fondamental » (« fundamental right ») et donc face à un droit qui est susceptible de subir des empiètements de la part des autorités législatives ou exécutives, dès lors que celles-ci invoquent un fondement légitime et « rationnel » (rational basis) ? Ou le droit à l’égalité en matière de mariage entre-il dans la catégorie des « libertés privilégiées » (preferred-freedoms), lesquelles représentent, en tant que « matrices », « la condition indispensable de presque toute autre forme de liberté » (Palko v. Connecticut, 302 U.S. 319 [CS fédérale, 1937]) ? Autrement dit, convient-il d’appliquer, comme en matière de discriminations raciales, un contrôle renforcé, ou « strict » (strict scrutiny), les autorités publiques devant alors prouver que la violation de tel ou tel droit était nécessaire à la réalisation d’un « intérêt impérieux » (« compelling interest ») ? Ou s’agit-il, à mi-chemin entre ces deux solutions, de faire application d’un contrôle « intermédiaire » (« heightened » ou « intermediate scrutiny »), lequel exige que la discrimination soit « substantiellement reliée à un intérêt public légitime » ?


     Si, jusqu’à présent, les juges de la Cour suprême ont toujours refusé d’exercer un contrôle strict en matière de discriminations fondées sur l’orientation sexuelle, ils auront devant eux plusieurs choix. Ils pourront tout d’abord opter pour le statu quo, envisageant alors le mariage avant tout comme une institution et non comme un droit fondamental de l’individu, et rappelant que la conception « traditionnelle » – c’est-à-dire hétérosexuelle – du mariage est « profondément enracinée dans la tradition et l’histoire de la nation [américaine] » (« deeply rooted in the Nation’s history and tradition ») (Moore v. City of East Cleveland, 431 U.S. 494, 503, 505-506 [CS, 1977]). Mais les juges suprêmes pourraient aussi surprendre, et décider d’étendre leur jurisprudence appliquée, par exemple, en matière de discriminations raciales, aux discriminations fondées sur l’orientation sexuelle. C’est toutefois oublier que la Cour se penchera ici sur un contentieux particulier, qui ne saurait faire fi de considérations inséparables de l’existence d’une structure fédérale. Soucieuse de préserver l’autonomie des Etats fédérés en la matière, la Cour suprême pourrait se contenter d’un constat : celui en vertu duquel les Etats fédérés ne sont pas encore parvenus à un consensus suffisant sur cette question (comp. à l’état actuel de la jurisprudence européenne sur le même sujet : Cour EDH, 1e Sect. 24 juin 2010, Schalk et Kopf c. Autriche, Req. n° 30141/04 – ADL du 24 juin 2010). Elle pourrait alors considérer que la décision d’écarter les couples de même sexe du mariage se rattache aux traditionnels « pouvoirs de police » (« police powers ») des Etats, décidant alors que le texte californien qui lui est soumis ne viole pas le XIVème Amendement.


     Mais la Cour suprême a également annoncé qu’elle étudierait la question du mariage homosexuel sous un autre angle, confrontant cette fois la loi fédérale sur le mariage de 1996 au Vème Amendement de la Constitution fédérale.


2°/- Le mariage pour tous et le Vème Amendement : la loi fédérale sur le mariage de 1996 (« DOMA ») sur la sellette


     Sur les dix plaintes qui lui étaient soumises, la haute juridiction a également choisi l’affaire d’Edith Windsor. En 2007, Edith Windsor et Thea Spyer, toutes deux résidentes de l’Etat de New York, s’étaient mariées à Toronto, après 40 ans de vie commune. Mais, après le décès, en 2009, de sa compagne, au moment même où l’Etat de New York reconnaît les autres mariages conclus dans d’autres Etats, Edith Windsor se voit exiger par l’administration fiscale fédérale la coquette somme de 363 000 $ au titre d’impôts sur la succession. Or, le problème est pour elle de taille dès lors que cette somme se serait révélée nulle si le droit fédéral avait associé à leur union les mêmes avantages que ceux qui sont généralement déduits des unions conclues entre un homme et une femme. Une raison suffisante, aux yeux de la Cour suprême, pour indiquer qu’elle se saisissait de ce recours portant sur la constitutionnalité, non plus d’une loi fédérée, mais cette fois de la loi fédérale de défense du mariage, baptisée « DOMA » (Defense of marriage act). L’occasion pour elle de se prononcer sur un texte qui fut l’œuvre du député républicain de la Géorgie, Bob Tarr, et qui fut adopté le 21 septembre 1996, au moment de la campagne en vue de la réélection de Bill Clinton. Un document législatif dont le contenu était alors clair : un mariage ne saurait être défini que comme « l’union entre un homme et une femme » (v. not. 1 USC 7 : « the word “marriage” means only a legal union between one man and one woman as husband and wife, and the word “spouse” refers only to a person of the opposite sex who is a husband or a wife »). Et dont l’objectif était double : d’une part, dissuader les Etats fédérés d’adopter des lois autorisant le mariage homosexuel et, d’autre part, les empêcher de reconnaître les mariages conclus dans d’autres Etats. Rappelons en effet que le DOMA fut adopté en réaction à la décision hawaïenne de 1993, Baehr v. Lewin (préc.). Celle-ci avait alors introduit l’hypothèse, à l’époque encore théorique, que les Etats fédérés puissent se voir contraints de reconnaître un mariage entre personnes de même sexe conclu dans un autre Etat fédéré, en application de la « clause de pleine foi et de crédit » (« Full Faith and Credit Clause ») de l’art. IV. Sect. 1 de la Constitution de 1787 (clause en vertu de laquelle « pleine foi et crédit sont accordés, dans chaque Etat, aux actes publics, registres et procédures judiciaires de tous les Etats »).


     Mais au-delà des mots, aux Etats-Unis comme ailleurs, le mariage est plus qu’une simple union entre deux personnes qui s’aiment et qui se promettent de rester côte à côte jusqu’à la fin de leurs jours. « Marié(e) » correspond avant tout à un statut légal qui donne droit à de nombreux avantages, procurés à la fois par le gouvernement fédéral et par les gouvernements fédérés, tels que des déductions fiscales, la possibilité de remplir des déclarations fiscales communes, la nature des règles applicables en matière de succession en cas de décès du conjoint, les droits de visite en cas de détention ou d’hospitalisation etc. Or, le fait que DOMA définisse, au plan fédéral, le mariage comme une union pouvant être exclusivement conclue par un homme et une femme, empêche les couples d’hommes et de femmes de pouvoir bénéficier des prestations attribuées par l’Etat fédéral aux couples hétérosexuels mariés.


     Dans ce dossier United States v. Windsor, les neuf sages devront donc dire si la loi fédérale viole le Vème Amendement de la Constitution, en vertu duquel « nul ne sera privé de sa vie, de sa liberté ou de sa propriété sans le bénéfice des protections dues par le droit [without due process of law] ». Or, se rattache à cette disposition une clause d’égale protection (v. not. City of Cleburne v. Cleburne Living Ctr., Inc., 473 U.S. 432, 439 [CS fédérale, 1985]), qui interdit au gouvernement d’introduire « des distinctions entre des individus qui sont uniquement fondées sur des différences ne poursuivant aucun objectif gouvernemental légitime » (v. not. Lehr v. Robertson, 463 U.S. 248 [CS fédérale, 1983]).


     Pour l’heure, dans ce dossier, la juridiction fédérale saisie en appel a confirmé le jugement rendu en première instance (United States District Court for the Southern District of New York, 6 juin 2012, 833 F. Supp. 2d 394 (S.D.N.Y. 2012), Windsor v. United States). De manière tout à fait novatrice, rejoignant ainsi une seule décision similaire, rendue par une Cour d’appel fédérale de Boston au mois de mai 2012, elle a en effet décidé, le 18 octobre 2012, par deux voix contre une, que la 3ème Section du DOMA (1 USC 7) était contraire à la Constitution fédérale (U.S. Court of Appeals, 2d Circuit, 18 oct. 2012, Windsor v. United States).


     Là encore, la Cour suprême choisira de passer au crible la législation fédérale en application d’exigences qu’elle déterminera elle-même, c’est-à-dire en optant pour un contrôle minimal, strict ou intermédiaire (v. supra). Pour l’instant, c’est cette troisième et dernière voie qu’ont emprunté en l’espèce les juridictions fédérales de première instance et d’appel. Reconnaissant que les personnes homosexuelles constituaient « un groupe suspect » (« suspect class »), elles sont en effet allées à l’encontre de la jurisprudence traditionnellement développée par les juridictions fédérales à ce sujet. Selon les juges fédéraux du district de New York, la distinction établie par la loi entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels « n’est pas substantiellement reliée à un intérêt gouvernemental impérieux » DOMA’s classification of same-sex spouses was not substantially related to an important government interest ») : elle est donc contraire à la clause d’égale protection, dès lors que la loi prive les couples homosexuels mariés des avantages qui sont accordés aux couples hétérosexuels en vertu du droit fédéral.


     Ont ainsi été balayés les arguments habituellement invoqués pour venir au secours du DOMA, à savoir la préservation de l’institution, traditionnelle et symbolique du mariage, la procréation « naturelle » et l’éducation des enfants, le maintien d’une définition homogène du mariage au plan fédéral en vue d’assurer une distribution elle aussi relativement homogène des aides afférentes au statut marital, ainsi que la nécessité, purement pragmatique, de limiter les dépenses au niveau fédéral. Reste donc à savoir si la Cour suprême suivra cette conception, si elle choisira de rester en deçà, ou si elle osera au contraire s’aventurer au-delà de cette jurisprudence audacieuse. La Haute Cour, qui a sollicité Vicki C. Jackson, Professeure de droit à l’Université de Harvard en vue de produire un amicus curiae, devra ainsi trancher sur la constitutionnalité d’une loi que, paradoxalement, le gouvernement américain ne défend plus. La question divise en effet de plus en plus, dans un pays qui demeure certes attaché à la grande diversité que permet le fédéralisme en la matière, mais dont le Président, Barack Obama, soutient désormais ouvertement.


3°/- L’ouverture du mariage en faveur des couples homosexuels : un état des lieux


     Pour l’heure, la question de l’ouverture du mariage aux couples homosexuels continue aujourd’hui de concerner avant toute chose les Etats fédérés. Le DOMA n’a en effet ni la vocation ni la capacité d’empêcher les Etats de définir eux-mêmes ce qu’ils entendent par mariage et de définir les aides qu’ils entendent procurer aux couples mariés, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels.


     Aujourd’hui, la plupart des Etats interdisent expressément aux couples de même sexe de se marier. Trente et un d’entre eux ont en effet inséré dans leur Constitution un amendement qui définit le mariage comme l’union entre un homme et une femme. Ainsi en est-il en Alabama, en Alaska, dans l’Arkansas, dans l’Arizona, en Californie, dans le Colorado, en Floride, en Géorgie, dans l’Idaho, dans le Kansas, dans le Kentucky, en Louisiane, dans le Michigan, dans le Mississippi, dans le Missouri, dans le Montana, dans le Nebraska, dans le Nevada, dans le Dakota du Nord, dans l’Ohio, dans l’Oklahoma, dans l’Oregon, en Caroline du Sud, dans le Dakota du Sud, dans le Tennessee, dans le Texas, dans l’Etat d’Utah, en Virginie, dans le Wisconsin ainsi qu’en Caroline du Nord depuis le mois de mai 2012.


     A l’inverse, neuf Etats américains, ainsi que la capitale fédérale, Washington, ont ouvert le droit au mariage aux couples homosexuels. Certains ont emprunté la voie législative, comme le Vermont qui, après être devenu le premier Etat à légaliser les unions civiles (« domestic partnerships »), est devenu le quatrième Etat à légaliser le mariage homosexuel, et le premier à adopter une telle réforme par le biais du parlement. Le 7 avril 2009, les deux chambres sont en effet passées outre un veto du gouverneur de l’Etat (Act to Protect Religious Freedom and Recognize Equality in Civil Marriage, S.115). Le district de Columbia, a également emprunté la même voie en 2009 (v. Religious Freedom and Civil Marriage Equality Amendment of 2009), suivi par le New Hampshire (Act relative to civil marriage and civil unions), puis par les Etats de New York (Marriage Equality Act relating to ability of individuals to marry). Sans oublier que deux tribus amérindiennes ont elles aussi reconnu l’égalité des droits devant le mariage : la tribu des Coquille, dans l’Oregon, et la tribu amérindienne des Suquamish, dans l’Etat de Washington. Mais la plupart des Etats ont opté pour la voie judiciaire. Plusieurs juridictions fédérées ont en effet interprété de manière autonome leurs propres clauses d’égale protection, lesquelles sont parfois interprétées comme garantissant une protection plus large contre les discriminations – fondées sur l’orientation sexuelle, notamment – que celle offerte au niveau fédéral. Après la tentative avortée dans l’Etat de Hawaii, en 1993 (v. Baehr v. Lewin, préc.), les Etats du Nord-Est des Etats-Unis ont été les premiers à autoriser le mariage homosexuel : ainsi en a-t-il été dans l’Etat du Massachusetts en 2003 (v. Goodridge v. Department of Public Health, préc.), dans le Connecticut en novembre 2008 (v. Elizabeth Kerrigan et al. v. Commissioner of Public Health et al., SC 1776 [CS Connecticut, 2008], préc.), dans l’Iowa en avril 2009 (Varnum v. Brien, 763 N.W.2d 862 [CS Iowa, 2009]). Plus récemment, les électeurs du Maine – après l’échec d’une loi adoptée le 6 mai 2009 (Act To End Discrimination in Civil Marriage and Affirm Religious Freedom) –, du Maryland et de l’Etat de Washington, ont choisi, le 6 novembre 2012, de dire « oui » au mariage pour tous. Quant à l’Etat de l’Illinois, qui a légalisé les unions civiles en juin 2011, il envisage aujourd’hui de légiférer sur la question ; projet qui bénéficie d’ailleurs du soutien de Barack Obama. Cela sans oublier que d’autres Etats ne reconnaissent qu’une forme d’union civile. Ainsi en est-il, par exemple, dans le New Jersey : une loi a en effet été adoptée, en décembre 2006, en vue d’instaurer une forme d’union civile (Civil Union Law), après que la Cour suprême de l’Etat a dénoncé le défaut d’égalité entre couples hétérosexuels et couples homosexuels en 2006 (Lewis and Winslow v. Harris, 188 NJ 415 [CS New Jersey, 2006]). C’est également le cas, depuis une loi entrée en vigueur le 1er janvier 2012, dans l’Etat de Hawaii (Hawaii Senate Bill No. 232).


     En ce domaine comme dans d’autres, l’opinion évolue plus vite que la loi. L’égalité des droits, malgré les résistances d’une frange très religieuse de la population, n’a en effet cessé de progresser, à des rythmes différents selon les Etats. Comme le montre un graphique réalisé à partir des sondages publiés par le Washington Post en 1996, date de la réélection de Bill Clinton, les deux tiers des Américains s’y opposaient. Seize ans plus tard, seulement 42% s’y opposent et 53% y sont favorables. Une évolution de l’opinion similaire à celle que connait la France, comme le montre une étude de l’IFOP publiée en août 2012 : le nombre des sondés favorables au mariage homosexuel est passé de 48% en 1996 à 65% au début de l’année 2012, avant de reculer légèrement et d’atteindre 61% au début du mois de novembre 2012.


     Quoi qu’il en soit, la lutte en faveur de l’égalité des droits est incontestablement en marche : après que la Cour suprême a, en 2003, interdit d’interdire la pratique de la sodomie – ce qui était encore le cas dans treize Etats du Sud et de l’Ouest – (Lawrence v. Texas, 539 U.S. 558 [CS fédérale, 2003]) et après l’abrogation de la loi dite « Don’t ask, don’t tell », qui proscrivait aux soldats américains d’afficher leur homosexualité (Don’t Ask, Don’t Tell Repeal Act de 2010), Barack Obama poursuit son offensive en ce domaine et s’attache à mettre en œuvre « l’agenda homosexuel » évoqué dans la décision Lawrence v. Texas. Parallèlement, les « pro » mariage homosexuel s’organisent, désormais rassemblés pour l’essentiel au sein de la coalition « Freedom To Marry », fondée en 2003, et du think tank Third Way, dans le cadre, notamment, de la campagne « Why Marriage Matters » (« Pourquoi nous voulons nous marier »). Reste à savoir si les juges de Washington seront sensibles aux arguments avancés par les défenseurs d’une plus grande égalité face à la sacro-sainte institution du mariage, mais également s’ils oseront s’aventurer, sur un terrain ô combien glissant car traditionnellement réservé aux Etats fédérés. Rappelons en effet que les diverses tentatives visant à constitutionnaliser le contenu du DOMA (Federal Marriage Amendment, ou Marriage Protection Amendment) ont toutes échoué – la dernière en date en 2008 –, faute d’obtenir le soutien des Etats nécessaire à leur ratification. Reste à savoir si un consensus inverse règne aujourd’hui parmi les différents Etats et si le mariage pour tou.te.s, fruit pendant longtemps défendu, est désormais parvenu à maturité.


Cour suprême des Etats-Unis, 7 décembre 2012, Hollingsworth, Dennis et al. v. Perry ; United States v. Windsor, Edith S., et al. 12-52, 12-135, 12-144, 12-307, 12-416


Quelques références bibliographiques :


– Baptiste Coulmont, « Que Dieu vous bénisse ! ». Le mariage religieux des couples du même sexe aux Etats-Unis, Thèse, Paris, EHESS, 2003.


– Randall P. Ewing Jr., « Same-Sex Marriage : A Threat to Tiered Equal Protection Doctrine », St. John’s Law Review, 2008, vol. 82, pp. 1409 s.


– Sherif Girgis, Robert P. George, Ryan T. Anderson, « What is Marriage ? », Harvard Journal of Law & Public Policy, 2011, vol. 34, pp. 245 s.


– Nancy J. Knauer, « Same-Sex Marriage and Federalism », Temp. Pol. & Civ. Rights. L. Rev., 2007-2008, vol. 17, pp. 421 s.


– Clifford J. Rosky, « Perry v. Schwarzenegger and the Future of Same-Sex Marriage Law », Arizona Law Review, 2011, vol. 53, pp. 913 s.


– Mark Strasser, « Equal Protection, Same-Sex Marriage, and Classifying on the Basis of Sex », Pepperdine Law Review, 2011, vol. 38, pp. 1021 s.


– Laurence H. Tribe, Joshua Matz, « The Constitutional Inevitability of Same-Sex Marriage », Maryland Law Review, 2012, vol. 71, pp. 471 s.


– Pour une compilation rassemblant divers matériaux juridiques ainsi que de nombreuses références bibliographiques, v. le document réalisé par Paul Axel-Lute, de la Rutgers University (mis à jour en octobre 2012).


– Pour un état des lieux actualisé sur la question, v. National Conference of State Legislature.


Pour citer ce document :

Céline Fercot, « Les juges de Washington se saisissent de la question relative à l’ouverture du mariage en faveur des couples homosexuels » [PDF] in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 13 janvier 2013.


Les Lettres « Actualités Droits-Libertés » (ADL) du CREDOF (pour s’y abonner) sont accessibles sur le site de la Revue des Droits de l’Homme (RevDH)Contact