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28 avril 2013

Liberté d’expression (CNCDH) : La réforme de la protection du secret des sources sur la voie du « journalisme de combat »


par Agathe Sireyjol



La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), saisie par le ministère de la Justice, a rendu le 25 avril 2013 un avis sur la réforme de la protection du secret des sources. Le projet de loi actuellement en préparation doit s’en inspirer pour garantir au mieux la transparence de la vie publique et le droit à une information de qualité. La liberté de la presse nécessite cette confidentialité des sources, au nom de la liberté d’expression fondamentale à la démocratie. La CNCDH entend que la révision de la loi du 4 janvier 2010 aille dans le sens d’un renforcement du droit à la protection des sources. Elle préconise pour ce faire un élargissement des bénéficiaires de ce droit et une définition stricte des exceptions au principe. Les violations de la confidentialité des sources doivent être prévenues par l’intervention du juge des libertés et de la détention, et sanctionnées. En outre, la CNCDH recommande que les journalistes soient protégés en cas de recel de violation du secret de l’instruction et qu’ils puissent accéder aux lieux de privation de liberté.



     La garantie de la liberté de la presse passe par une réforme de la protection du secret des sources, selon l’avis du 25 avril 2013 rendu par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Fondée en 1947 pour promouvoir et protéger les droits de l’homme, la CNCDH exerce ici son rôle de conseil au Gouvernement après avoir été saisie le 21 novembre 2012 par la garde des Sceaux afin que le dispositif législatif existant soit amélioré. Au regard de l’avant-projet de loi qui lui a été communiqué le 31 janvier 2013, la CNCDH émet un certain nombre de recommandations pour pallier les insuffisances de la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection des sources des journalistes.


     Un retour aux sources – de droit – s’impose. Première d’entre elles, l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme […] ». En écho, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit que « toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière […] ». Ces textes fondent l’idée clef selon laquelle la liberté d’expression, de communiquer et de s’informer est essentielle à la démocratie. Plus encore, pour la Cour européenne des droits de l’homme, la protection de la confidentialité des sources est « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse » (Cour EDH, G.C., 27 mars 1996, Goodwin c. Royaume-Uni, Req. n° 17488/90 ; sur l’encadrement du principe v. Cour EDH, G.C. 14 septembre 2010, Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas, Req. n° 38224/03 – ADL du 14 septembre 2010). Grâce à la loi du 4 janvier 2010, la France a intégré ce principe de protection du secret des sources à l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.


     Les recommandations de la CNCDH pour un renforcement de la protection du secret des sources s’inscrivent dans un contexte marqué par une certaine opacité de la vie publique française et de récurrentes pressions exercées à l’encontre des journalistes. Ainsi, dans « l’affaire des fadettes », les réquisitions de factures téléphoniques détaillées de journalistes afin de découvrir leurs sources par le procureur de la République de Nanterre ont été pointées du doigt par les médias. Elles ont d’ailleurs été annulées par la Cour d’appel de Bordeaux et la Cour de cassation (Cass., crim., 6 décembre 2011, n° 11-83.970ADL du 12 décembre 2011). Quant aux récentes condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme au sujet du secret des sources, elles concernent des faits antérieurs à la loi de 2010 (Cour EDH, 5e Sect. 28 juin 2012, Ressiot et autres c. France, Req. n° 15054/07 et 15066/07 et Cour EDH, 12 avril 2012, Martin et autres c. France, Req. n° 30002/08). Des modifications de la loi de 2010 sont cependant envisagées par la CNCDH, afin de se diriger vers ce que certains journalistes appellent le « journalisme de combat ».


     En premier lieu, la CNCDH s’intéresse à la définition du principe de la protection des sources et de ses bénéficiaires. La CNCDH estime que « le droit à la protection du secret des sources doit être reconnu à tous : aussi bien aux journalistes qu’à toute personne publiant des informations à titre simplement occasionnel ». Cette extension des bénéficiaires du droit à la confidentialité des sources se fonde notamment sur la loi belge relative à la protection des sources journalistiques du 7 avril 2005 [MAJ au 2 mai 2013 : Texte modifié au lendemain de l’arrêt du 7 juin 2006 rendu par la Cour d’arbitrage belge (devenue entretemps Cour constitutionnelle) – à ce propos notamment, lire Jacques Englebert, « Le statut de la presse : Du “droit de la presse“ au “droit à l’information“ », in Revue de Droit de l’Université Libre de Bruxelles (Rev.Dr.ULB), n° 35-2007, pp. 229-288]. L’extension se limiterait « aux personnes qui contribuent réellement à la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d’informations, par le biais d’un média, au profit du public » ainsi qu’à celles « qui par l’exercice de leur fonction sont amené(e)s à prendre connaissance d’informations permettant d’identifier une source ». Consciente des risques d’une définition stricte de la protection du secret des sources et des sources à protéger, la CNCDH rappelle que le principe est la prohibition de l’identification de la source à partir de la publication de l’information.


      Ce principe de confidentialité connaît des exceptions, que la CNCDH tient à définir pour faire obstacle aux dangereuses limitations à la liberté de la presse. Dans le cadre de la liberté de la presse, certains principes doivent être pris en considération : la protection générale de l’ordre public, la protection des intérêts généraux de la collectivité et des personnes et le droit de réponse. Pour ce qui est du droit spécifique à la protection du secret des sources, ses limitations dans la loi du 4 janvier 2010 reprennent la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, avec les notions – chères au droit européen – d’impératif prépondérant d’intérêt public, de nécessité et de proportionnalité. Toutefois, celles-ci laissent aux États une large marge d’appréciation aux États. Afin de réduire les risques de mésinterprétation de ces limites, la CNCDH recommande de modifier la loi pour qu’il ne soit possible de porter « atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d’intérêt public tenant à la prévention ou à la répression d’infractions de nature criminelle le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi ».


      Les journalistes sont parfois sollicités par les autorités judiciaires dans le cadre d’enquêtes ouvertes suite à des révélations qu’ils auraient publiées. Ainsi, dans le dossier offshoreLeaks et à la suite de la publication de milliers d’informations sur les paradis fiscaux par différents journaux dans le monde, les pouvoirs publics ont vainement tenté d’obtenir les sources des journalistes. Le Conseil de Déontologie journalistique avait alors souligné que « les journalistes et les médias ne sont pas des auxiliaires de la police, de la justice ou de l’administration. […] Les médias doivent pouvoir respecter la confidentialité des sources afin de conserver leur confiance et de garantir ainsi la continuité de l’accès aux informations d’intérêt général ».


      La prévention des violations du secret des sources exige l’intervention du juge des libertés et de la détention (JLD). Selon la CNCDH, les actes d’enquête ou d’instruction ayant pour objet direct ou indirect la découverte de la source d’une information doivent nécessairement être préalablement autorisés par le JLD sous peine de nullité. Dans cette perspective, ce juge indépendant et impartial devrait également disposer d’un véritable statut et avoir les moyens humains et financiers suffisants.


      Jusqu’alors, la violation du secret n’était sanctionnée que par la nullité des actes accomplis en méconnaissance des prescriptions légales. Une telle mesure est jugée efficace par la CNCDH, mais insuffisante. Elle recommande des sanctions pénales en cas de violation du secret dans le cadre d’une circonstance aggravante concernant certains délits. En greffant au droit existant de nouvelles particularités, le principe serait « sanctuarisé ». Les délits en question sont l’atteinte aux systèmes de traitement automatisé de données et l’atteinte à l’inviolabilité du domicile et à l’inviolabilité des correspondances (comp. aux délits de presse, v. Conseil constitutionnel, Décision n° 2013-302 DC du 12 avril 2013, M. Laurent A. et autres ADL du 17 avril 2013).


      Le principe du secret de l’instruction est mis en balance avec le droit à l’information, ce dernier justifiant qu’un journaliste soit à même d’informer le public sur les enquêtes judiciaires en cours (v. Cour EDH, 2e Sect., 19 janvier 2010, Laranjeira Marques Da Silva c. Portugal, n° 16983/06 – ADL du 19 janvier 2010 ; Cour EDH, Déc. 5e Sect. 30 juin 2009, Eric Hacquemand c. France, Req. n° 17215/06 – ADL du 19 juillet 2009). Afin de protéger les journalistes en cas de recel de violation du secret de l’instruction, la CNCDH recommande la création d’une immunité pour les journalistes professionnels. Celle-ci n’enlève rien à leur responsabilité de vérification des faits, en vertu de la déontologie du journalisme.


      Enfin, il coule de source pour la CNCDH que l’accès des journalistes des lieux de privation de liberté doit être favorisé. Elle promeut ainsi « l’ouverture aux journalistes des établissements pénitentiaires, centres de rétention administrative, zones d’attente et locaux de garde à vue dans des conditions fixées par décret, même en dehors de la présence de parlementaires », conformément aux revendications de nombreux acteurs de la société civile (sur le droit d’accès des médias à l’espace carcéral, v. ADL du 23 juin 2012 sur Cour EDH, 5e Sect. 21 juin 2012, Schweizerische Radio- und Fernsehgesellschaft SRG c. Suisse, Req. n° 34124/06).


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     Il ne s’agit bien sûr pas pour le journaliste d’avancer masqué ou d’ombrager la vérité – pour reprendre les formules de Descartes – mais de jouer son rôle dans le droit chemin de la liberté de la presse. Alors que le 3 mai 2013 sera célébrée la journée mondiale de la liberté de la presse, sous l’égide de l’UNESCO, n’oublions pas que la France est 37ème au classement mondial de la liberté de la presse 2013.


Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), 25 avril 2013, Avis sur la réforme de la protection du secret des sourcesCommuniqué de presse.


Pour aller plus loin :

– Le « Classement mondial de la liberté de la presse 2013 », de Reporters sans frontières (ADL du 1er février 2013).

– La « Recommandation 1950 du Conseil de l’Europe sur la protection des sources d’information des journalistes », du 25 janvier 2011.

– L’émission de Jean Marc Four « Le Secret des Sources », sur France Culture.

– Jacques Englebert, « Le statut de la presse : Du “droit de la presse“ au “droit à l’information“ », in Revue de Droit de l’Université Libre de Bruxelles (Rev.Dr.ULB), n° 35-2007, pp. 229-288


Pour citer ce document :

Agathe Sireyjol, « La réforme de la protection du secret des sources sur la voie du “journalisme de combat“ » [PDF] in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 28 avril 2013.


Les Lettres « Actualités Droits-Libertés » (ADL) du CREDOF (pour s’y abonner) sont accessibles sur le site de la Revue des Droits de l’Homme (RevDH)Contact