Droit au mariage (Tribunal Constitutionnel espagnol) : Constitutionnalité de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe en Espagne


par Beatriz Collantes Sanchez


     Avec l’approbation de la loi 13/2005 du 1er juillet 2005 par laquelle fut modifié le Code civil espagnol en matière d’accès au mariage, l’Espagne est devenue le troisième pays du monde en légaliser le mariage des couples de même sexe. Cependant, le Partido Popular, parti politique d’opposition à l’époque, présenta le 30 septembre 2005 un recours d’inconstitutionnalité contre cette loi. Sept ans plus tard, le 6 novembre 2012, le verdict du Tribunal Constitutionnel est devenu public. Par un vote de huit juges contre trois, la juridiction espagnole a admis la constitutionnalité du dispositif législatif ouvrant le mariage aux couples de même sexe. Pour ce faire, ils ont opté pour une définition actualisée du mariage incluant les unions de même sexe, conformément à l’évolution de la société espagnole et à une tendance croissante en Europe ainsi que dans le monde.


     Le mariage des couples de même sexe est autorisé en Espagne depuis le 3 juillet 2005. Après la victoire du Parti Socialiste Espagnol aux élections législatives de 2004, le 30 juin 2004, la ministre espagnole de la Justice avait annoncé devant le Congrès des Députés la préparation d’un avant-projet de loi de réforme du Code Civil. Cet avant-projet de loi avait pour objectif d’éliminer les limitations empêchant les couples de même sexe d’accéder au mariage. Il s’agissant donc d’ouvrir le mariage à tous les couples, indépendamment du sexe de leurs contractants.


     Le 1er octobre 2004, le gouvernement adopta l’avant-projet de loi « par lequel est modifié le Code civil en matière de droit à contracter le mariage ». Le projet de loi définitif fut voté en Conseil des ministres le 30 décembre 2004, avant d’être transmis au Parlement. Il fut approuvé en première lecture au Congrès des Députés le 21 avril 2005, au Sénat le 21 juin et par le Congrès de manière définitive le 30 juin de la même année. La « loi 13/2005, du 1er juillet, par lequel est modifié le Code civil en matière de droit à contracter le mariage » fut donc publiée le 2 juillet 2005 dans le Boletín Oficial del Estado (Ley 13/2005, de 1 de julio, por la que se modifica el Código Civil en materia de derecho a contraer matrimonio. BOE núm. 157 de 2 de julio 2005).


     Cette loi 13/2005 a modifié le Code civil en matière de droit à contracter le mariage. Elle ajoute un deuxième paragraphe à l’article en vigueur 44 du Code civil espagnol. Le texte laisse intact le premier paragraphe (« L’homme et la femme ont le droit de contracter un mariage conformément aux dispositions de ce Code »). Mais l’évolution apparaît au second paragraphe : « Le mariage aura les mêmes exigences et les mêmes effets quand les deux contractants seront de mêmes sexes ou de sexes différents ». Le reste des modifications du Code civil effectuées par la Loi 13/2005 ont consisté à substituer les expressions: « le mari et la femme » par « des conjoints », et « un père et une mère » par « des parents ».


     Les effets du mariage sont applicables à tous les domaines du droit : le droit des successions, le droit de résidence, l’adoption des enfants du conjoint, la fiscalité, le droit à l’alimentation, la séparation, le divorce, etc. Le mariage entre deux contractants de même sexe en Espagne est ainsi devenu quasi identique au « mariage hétérosexuel ». Il comprend presque tous les droits relatifs aux enfants, à l’exception de la présomption de paternité. Les dispositions sur la présomption de paternité ont été partiellement modifiées via la loi sur la transsexualité adoptée en 2007. Celle-ci instaure une présomption de maternité au sein des couples lesbiens mariés dans le cas où une des partenaires a été inséminée (Ley 3/2007, de 15 de marzo, reguladora de la rectificación registral de la mención relativa al sexo de las personas, BOE núm. 65, 16 mazo 2007).


     Le 30 septembre 2005, cinquante députés du Parti Populaire (parti politique d’Espagne) ont présenté un recours d’inconstitutionnalité devant le Tribunal Constitutionnel contre cette réforme du Code Civil (Recurso de inconstitucionalidad n. º 6864-2005, en relación con la Ley 13/2005, de 1 de julio, por la que se modifica el Código Civil en materia de derecho a contraer matrimonio. BOE, núm. 273 de 15 de noviembre de 2005). Le recours a été déclaré recevable par le Tribunal Constitutionnel.


     Les fondements juridiques de ce recours d’inconstitutionnalité portaient sur une possible violation de l’article 32 de la Constitution Espagnole de 1978 qui prévoit que « L’homme et la femme ont le droit de contracter mariage en pleine égalité juridique » (Constitución Española de 1978. BOE núm. 311, de 29 de diciembre 1978Texte en français). Cet article poursuit dans un second alinéa en indiquant que « la loi réglera les formes de mariage, l’âge et la capacité de contracter, les droits et les devoirs des conjoints, les causes de séparation et de dissolution et ses effets ».


     Pour les requérants, dans la mesure où le mariage constitue le cadre privilégié de la famille et puisqu’à leurs yeux, un couple homosexuel ne peut pas procréer, la réforme du Code civil reviendrait à amalgamer des situations différentes. Pour cette raison, toujours selon ces requérants, le mariage devait être réservé aux unions hétérosexuelles (v. David Paternotte, Revendiquer le « mariage gay ». Belgique, France, Espagne, Éditions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 2011, p. 81).


     Les restes des arguments juridiques étaient relatifs au refus de l’ouverture du droit à l’adoption aux unions de même sexe, ceci au nom de l’intérêt de l’enfant. Les requérants se fondaient sur une possible violation de l’article 39 de la Constitution espagnole : « 1. Les pouvoirs publics assurent la protection sociale, économique et juridique de la famille. 2. Les pouvoirs publics assurent, de la même manière, la protection intégrale des enfants, qui sont égaux devant la loi indépendamment de leur filiation, et de celle de la mère, quel que soit son état civil. La loi facilitera la recherche de la paternité. […] 4. Les enfants jouiront de la protection prévue dans les accords internationaux qui veillent sur leurs droits ».


     L’avocat au Conseil d’État, en tant que représentant du Gouvernement de la Nation, a demandé le rejet du recours dans ses observations présentées le 1er décembre 2005 devant le Tribunal Constitutionnel. Dans ce cadre, il a procédé à une analyse de l’évolution récente des décisions des divers organes judiciaires et législatifs – notamment étrangers –, ainsi que de l’opinion publique et de la communauté scientifique, en relation avec la perception de l’homosexualité et des couples homosexuels : « Cet examen évolutif a mis en relief une réalité partagée par la société, le droit et la communauté scientifique : l’homosexualité est une option sexuelle aussi acceptable que l’hétérosexualité, de sorte qu’il n’y a pas de raison pour que les couples du même sexe ne puissent pas profiter exactement des mêmes droits que les couples hétérosexuels. Une telle affirmation se confirme grâce à l’expérience d’autres pays pionniers dans la reconnaissance des droits des homosexuels, qui ont commencé par réglementer les unions légales avec des droits plus ou moins proches de ceux du mariage pour, ensuite, arriver à une équivalence totale et, par la suite, à une intégration définitive de l’homosexualité dans l’institution du mariage » (“el examen evolutivo pone de relieve una realidad compartida por la sociedad, el Derecho y la comunidad científica: la homosexualidad es una opción sexual tan aceptable como la heterosexualidad, de modo que no existe razón alguna para que las parejas del mismo sexo no puedan disfrutar exactamente de los mismos derechos que las parejas heterosexuales. Tal afirmación se confirma con la experiencia de otros países pioneros en el reconocimiento de los derechos de los homosexuales, que comienzan por regular la unión legal con beneficios más o menos cercanos al matrimonio para, a continuación, llegar a una plena equiparación con el matrimonio y, posteriormente, a una definitiva integración de la homosexualidad en la institución matrimonial.“).


     Le 6 novembre 2012, sept ans après la présentation du recours d’inconstitutionnalité, la séance plénière du Tribunal Constitutionnel a rendu sa sentence. A huit voix contre trois, la juridiction constitutionnelle décide de « rejeter le recours d’inconstitutionnalité interposé contre la Loi 13/2005, du 1 juillet, en ce qu’il modifie le Code Civil en matière du droit de contracter un mariage »


     Pour le Tribunal Constitutionnel, la question contentieuse principale résidait dans l’analyse de l’article 32 alinéa 1er de la Constitution espagnole de 1978 : « L’homme et la femme ont le droit de contracter mariage en pleine égalité juridique ». Plus précisément, les juges du Tribunal avaient à apprécier si le nouveau libellé de l’article 44 du Code civil (alinéa 2 : « Le mariage aura les mêmes exigences et les mêmes effets quand les deux contractants seront du même sexe ou de sexes différents ») violait ce texte constitutionnel. C’est sur cet enjeu que s’est concentré le Tribunal, qui a rejeté plus rapidement les autres questions d’inconstitutionnalité soulevées pars les appelants (violation des articles 9.3 de la constitution espagnole – interdiction de l’acte d’arbitraire –, 14 – en relation avec les arts. 1.1 et 9.2 –, et 39.1, 2 et 4).

     Comment droit fondamental et comme garantie institutionnelle, la définition du mariage choisie par le législateur espagnol est jugée conforme à la Constitution espagnole. Pour parvenir à cette conclusion, la Tribunal constitutionnel interprète l’article 32 de la Constitution espagnole de façon à admettre une définition du mariage incluant les unions de même sexe. Ceci, en particulier parce que cette approche est de plus en plus répandue dans la société espagnole et dans celle de nombreux pays en Europe ainsi que dans le monde, bien qu’elle ne soit pas acceptée unanimement.


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     En modifiant les conditions d’exercice du droit constitutionnel de contracter mariage de façon à conférer un même statut juridique pour tous – homosexuels et hétérosexuels –, la Loi 13/2005 s’inscrit dans un mouvement sociétal plus vaste. Cette évolution juridico-sociale a ainsi débuté par la dépénalisation des relations homosexuelles (Cour EDH, Pl. 22 octobre 1981, Dudgeon c. Royaume-Uni, Req. n° 7525/76) pour se poursuivre avec la sanction de plus en plus ferme des discriminations fondées sur l’orientation sexuelle (v. Cour EDH, 4e Sect. 21 décembre 1999, Salgueiro da Silva Mouta c. Portugal, Req. n° 33290/96 ; Cour EDH,  1e Sect. 9 janvier 2003, L. et V. c. Autriche, Req. n° 39392/98 ; Cour EDH, 2e Sect. 9 octobre 2012, X. c. Turquie, Req. n° 24626/09 – ADL du 18 octobre 2012 ; Cour EDH, 4e Sect. 15 janvier 2013, Eweida et autres c. Royaume-Uni, Req. n° 51671/10, et al. – ADL du 24 janvier 2013 ; Tribunal constitutionnel espagnol, 13 février 2006, Sentencia 41/2006, Recurso de amparo 5038- 2003 ; Cour IADH, 24 février 2012, Atala Riffo et filles c. Chili, Série C N° 239 – ADL du 24 mars 2012 et ADL du 23 février 2013 ; Art. 22.1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne).


     Plus récemment, cette évolution a conduit à une reconnaissance croissante des familles homoparentales (v. Cour EDH, G.C. 19 février 2013, X. et autres c. Autriche, Req. n° 19010/07 – ADL du 26 février 2013). A l’évidence, et comme en témoigne notamment l’arrêt du Tribunal constitutionnel espagnol en date du 6 novembre 2012, l’ouverture du droit au mariage aux couples de même sexe est la prochaine étape de ce vaste mouvement (v. Cour EDH, 1e Sect. 24 juin 2010, Schalk et Kopf c. Autriche, Req. n° 30141/04 – ADL du 24 juin 2010 ; v. la situation aux États-Unis : ADL du 13 janvier 2013).


Tribunal constitutionnel espagnol, Pleno. 6 novembre 2012, Sentencia 198/2012, Recurso de inconstitucionalidad 6864-2005


Pour citer ce document :

Beatriz Collantes Sanchez, « Constitutionnalité de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe en Espagne » [PDF] in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 18 mars 2013.


* Beatriz Collantes Sanchez est docteure en droit (Université de Córdoba – Espagne – et Université de Paris Ouest Nanterre La Défense).


Les Lettres « Actualités Droits-Libertés » (ADL) du CREDOF (pour s’y abonner) sont accessibles sur le site de la Revue des Droits de l’Homme (RevDH)Contact

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