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18 novembre 2013

Immigration professionnelle et étudiante (Rapport du Réseau européen des migrations) : L’immigration « choisie » au prisme des politiques européennes


par Jean-Philippe Foegle


     Le Réseau Européen des Migrations, institué par la Commission Européenne en vue de fournir des informations fiables sur les politiques migratoires des Etats-membres, a publié en juillet 2013 une étude comparative européenne sur les stratégies menées par les Etats-membres en vue d’attirer une migration qualifiée et hautement qualifiée. S’inscrivant dans un mouvement d’émergence d’une politique européenne d’immigration « choisie », encore largement fragmentée, lacunaire et potentiellement discriminante, l’étude décrit de fortes disparités entre Etats dans le traitement de l’immigration qualifiée et une faible efficacité des politiques menées en la matière. Les projets de réforme étudiés actuellement au niveau européen et national semblent à cet égard manquer d’ampleur pour rompre avec cet état de fait.


    « Il nous faut accroître les synergies entre nos politiques en matière d’emploi et de croissance d’une part et notre politique d’immigration, pour accroître la présence des immigrés ». Ce discours, prononcé par la commissaire européenne Cécilia Malmström à l’occasion de la « conférence des métropoles internationales », trouve une résonance particulière en France à l’approche d’un futur projet de loi sur l’immigration professionnelle et étudiante. Celui-ci, préparé par un débat sur l’immigration professionnelle et étudiante, devrait contribuer, dans la lignée de la politique d’ « immigration choisie » menée depuis 2006, à adapter l’immigration aux besoins de main d’œuvre des entreprises françaises. Fait significatif, la première étude ciblée du Réseau Européen des Migrations pour l’année 2012 s’intitule « Attirer les talents étrangers » (Point de contact National français du REM, Juillet 2013 ; les études des autres points de contact nationaux sont disponibles sur le portail de la commission européenne) et porte sur les politiques visant à attirer les migrants économiques qualifiés et hautement qualifiés.


     Réseau institué par la décision du Conseil du 14 mai 2008,  en vue  de « répondre aux besoins des institutions communautaires et des autorités et institutions des États membres en matière d’information sur l’immigration et l’asile », le REM est coordonné par la Commission européenne, et organisé en points de contact nationaux dans chaque État membre. En France, le Point de contact national est rattaché au Département des statistiques, des études et de la documentation, au sein de la Direction générale des étrangers en France du ministère de l’Intérieur (ex Secrétariat Général à l’Immigration et à l’Intégration). Outil de comparaison, ledit réseau est en outre un instrument d’aide à la décision pour les institutions européennes. Ainsi, l’étude de 2012 sur les « Etudiants étrangers » a largement servi de base à la proposition de refonte des directives 2004/114/CE et 2005/71/CE (respectivement directives « étudiants » et « scientifiques »).


     En l’espèce, comme l’indiquait le cahier des charges de cette première étude ciblée, il s’agissait d’identifier les « politiques et pratiques concrètes visant à accueillir les ressortissants qualifiés et hautement qualifiés pays tiers », tout en identifiant les « bonnes pratiques » en la matière en se fondant sur les « expériences nationales et les leçons à en tirer ». A la suite des précédentes études sur les « Conditions d’entrée et de séjour des migrants hautement qualifiés » (« Conditions of entry and residence of highly-skilled workers in the EU », Europeean Migration Network, mai 2007) et sur l’ «Immigration des étudiants étrangers dans les pays de l’Union Européenne » (« Immigration of international students in the EU », European Migration Network, Juillet 2012), celle du Réseau vise à identifier les politiques nationales destinées à l’accueil des migrants qualifiés et le cadre juridique dédié., L’objectif est d’évaluer l’efficacité des mesures adoptées et mettre en avant les obstacles persistant à la mise en œuvre d’une politique d’ « immigration choisie ».


     Bien que la synthèse européenne des travaux des points de contacts nationaux n’ait pas encore été réalisée, les travaux menés dans ce cadre offrent un outil utile de comparaison des politiques menées en matière d’accueil des migrants économiques, avec, notamment, en toile de fond, la politique mise en place par les institutions européennes depuis le conseil européen de Tampere.


     Cette politique, visant à encourager la croissance européen en rouvrant les canaux de l’immigration de travail, s’est traduite, à la suite de la publication du  livre vert « « Sur une approche communautaire de la gestion des migrations économiques » (COM(2004)811 final), par la mise en place d’un acquis communautaire lacunaire et en matière d’immigration économique. La communication de la commission européenne sur un « plan d’action en faveur de l’immigration de travail » (COM (2005) 669)  avait annoncé la mise en place progressive d’une directive cadre générale et de quatre directives spécifiques. Cet ensemble de directives, désigné par le terme de « paquet immigration légale », est toujours à ce jour en cours d’adoption.


     C’est donc l’ensemble de la politique d’accueil des « talents » étrangers au niveau européen – ce que Nicolas Sarkozy a vulgarisé en France sous le vocable « d’immigration choisie » qui peut, à travers cette étude et les mises en perspective induites par une approche comparative, être questionnées dans leur principe et leur efficacité.


     Les politiques nationales menées en lien avec cette question font ainsi apparaître de fortes divergences pour ce qui concerne la mise en place de politiques spécifiques aux « talents étrangers »,  dont l’efficacité semble faible (1°). Les insuffisances constatées en la matière ne semblent pas à même d’être comblées par les très timides pistes de réformes, européennes ou nationales (2°).


1°/- Des expériences nationales contrastées en matière d’accueil des « talents étrangers »


     Une comparaison des politiques menées simultanément en Allemagne, en Espagne et en France permet ainsi de constater une grande hétérogénéité  dans les approches de l’immigration « choisie » et le cadre juridique mis en place à cet effet (A), tandis que toutes les études constatent le manque d’effectivité de ces politiques, ainsi que la persistance de nombreux obstacles (B).


A – Une grande hétérogénéité des approches nationales en matière d’accueil des « talents étrangers »


     Une étude succincte des politiques menées dans certains des « grands » pays d’immigration de l’espace Schengen, – ici, la France (« Attirer les talents étrangers : bonnes pratiques et enseignement tirés », Point de contact national français du REM, Juillet 2013), l’Espagne (Etude du point de contact national espagnol du REM) et l’Allemagne (Etude du point de contact allemand du national REM), laisse à voir une grande hétérogénéité dans l’organisation des politiques publiques visant à attirer les ressortissants de Pays-tiers qualifiés et hautement qualifiés.


     La définition des « publics » visés par les mesures d’attractivité semble, elle aussi, différer selon les Etats-membres étudiés. Ainsi,  l’Allemagne, du fait de sa situation démographique, vise explicitement, dans ses politiques, à attirer à la fois les ressortissants « hautement qualifiés » mais également les ressortissants « qualifiés », à savoir, dans le premier cas, les titulaires d’un diplôme sanctionnant au moins trois années d’études supérieures (Aufenthaltsgesetz , § 18b, 19, 19a, 20) les titulaires d’un diplôme sanctionnant la fin des études supérieures ayant au moins deux ans d’expérience professionnelle significative (Aufenthaltsgesetz, § 18.4, 18a, 18c), soit un public relativement large.


     Les publics visés par la politique espagnole semblent correspondre à un champ plus réduit, qui concerne principalement les publics « hautement qualifiés ». Ainsi, l’article 38b de la réçente « Ley de Apoyo al Emprededor y su Internacionalización » dite loi « LOEX », vise spécifiquement, outre les scientifiques étrangers et les publics visés par la Carte Bleue Européenne, les investisseurs, les entrepreneurs et les prestataires de service. Seuls ces publics sont susceptibles de bénéficier des procédures gérées par l’ « Unidad de Grande Empresas » et, donc, d’avoir accès à des procédures accélérées et non soumises à l’examen de la situation de l’emploi. En France, il semble difficile de fournir une définition précise de ce que peut être un ressortissant de pays-tiers « hautement qualifié » dans la mesure où tous se voient, pour la plupart, délivrer des titres de séjour mention « salarié ». Plusieurs dispositifs se fondent toutefois sur le niveau de salaire et le niveau de diplôme. Les salariés en mission doivent ainsi percevoir au moins 1,5 fois le montant du SMIC. Les étudiants étrangers souhaitant acquérir une première expérience professionnelle en France doivent à la fois avoir une rémunération au moins égale à 1,5 fois le SMIC et être en possession d’un diplôme au moins équivalent au Master. Dans les trois pays, sont également visés comme « publics cible » les étudiants et scientifiques étrangers dans le cadre de la stratégie de développement international des universités.


     La mise en œuvre concrète de ces politiques et le pilotage administratif de celles-ci diffèrent également sensiblement. Ainsi, l’Espagne semble s’enorgueillir de l’existence, à travers l’Unidad de Grande Empresas (UGA), d’une entité administrative spécifiquement dédiée à la mise en œuvre de la politique d’immigration de travail, mise en place par le titre IX du décret  du 20 avril 2007 (Real decreto 577/2011 ) pris en application de la loi organique du 11 janvier 2000 sur l’immigration (Ley Organica 4/2000). Cette entité, placée sous la tutelle du ministère du travail et de la sécurité sociale et composée d’un personnel spécifiquement formé aux questions de mobilité internationale. Elle constitue l’interlocuteur unique des migrants « hautement qualifiés » et offre des procédures accélérées de délivrance de documents de séjour et de travail, pour lesquelles « la situation de l’emploi au niveau national » n’est pas prise en compte. Un système de « contrôle qualité » et une « charte de l’usager » ont été mis en place.


     A l’inverse, l’Allemagne n’a mis en place aucune instance spécifiquement dédiée à l’accueil des « talents étrangers » les autorisations de travail et de séjour étant délivrées, aux termes de l’article 39 de la nouvelle loi sur l’immigration (Aufenthaltsgesetz, §39) par l’Agence Fédérale Pour l’Emploi (Bundesagentur für Arbeit)  s’agissant des étudiants (Aufenthaltsgesetz, §17), des salariés (Aufenthaltsgesetz, §18)  et salariés hautement qualifiés (Aufenthaltsgesetz, §19) Enfin, s’agissant de la France, un guichet unique de dépôt des dossiers et de remise des titres de séjour a été mis en place. Coordonné par l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration par le biais de ses directions territoriales, ce guichet unique n’est toutefois destiné qu’aux bénéficiaires des dispositifs de l’immigration professionnelle où la situation de l’emploi n’est pas opposable (c’est-à-dire les personnes éligibles aux titres de séjour « compétences et talents », « salarié en mission » et « carte bleue européenne » – ce qui représente de très faibles effectifs de titres de séjour annuels). Qui plus est, à ce jour, il n’est en place que dans 8 départements, L’essentiel des migrants économiques relèvent donc toujours de la, longue, fastidieuse et onéreuse, procédure de droit commun de demande d’autorisation de travail.


     Enfin, c’est sans doute dans la façon d’envisager les relations avec les pays-tiers que les États-membres diffèrent le plus. La France apparaît à cet égard comme l’Etat-membre ayant le plus développé l’aspect « externe » de la politique visant à attirer les « talents étrangers ». Ainsi, près de 14 « accords de gestion des flux migratoires » ont été signés (seul 11 accords ont toutefois été ratifiés) avec des pays tiers, la plupart prévoyant des dispositions directement applicables aux migrants qualifiés et hautement qualifiés. A l’inverse de la France, et comme le souligne le rapport du point de contact allemand du REM, la politique du gouvernement fédéral s’intéresse « aux ressortissants de tous les pays-tiers et n’est pas dirigée vers des pays-tiers en particulier ». De ce fait, outre-rhin, « Les accords bilatéraux ne jouent aucun rôle dans la politique visant à attirer les ressortissants de pays-tiers qualifiés et hautement qualifiés ».


     Enfin, en Espagne, seuls deux accords ont été signés – l’un avec le Canada le 10 mars 2009 et l’autre avec la Nouvelle-Zélande le 23 juin 2009. Ils prévoient tous deux des « quotas » dans l’attribution de titres de séjour pour motifs professionnels.


B – Une forte disparité des cadres juridiques nationaux applicables aux « talents étrangers »


     Au delà des différences d’approche dans la conduite des politiques publiques en matière d’accueil des « talents étrangers », ce sont, plus prosaïquement, les dispositifs juridiques applicables à ceux-ci qui marquent la grande hétérogénéité des situations des Etats-membres dans la mise en œuvre d’une immigration « choisie ». C’est une fois de plus une étude succincte des politiques menées dans certains des « grands » pays d’immigration de l’espace Schengen, – ici, la France (« Attirer les talents étrangers : bonnes pratiques et enseignement tirés », Point de contact national français du REM, Juillet 2013) , l’Espagne (Etude du point de contact national espagnol du REM) et l’Allemagne (Etude du point de contact allemand du national REM) qu’il s’agit de mener.


     Par exemple , s’agissant des dispositions s’intéressant aux étudiants étrangers, et particulièrement de l’accès de ceux-ci au travail à l’issue de leurs études, la différence entre le droit français et le droit allemand est particulièrement topique. Ainsi, en France, la non opposabilité de la situation de l’emploi est réservée, aux termes des articles L.311-11 et R.311-35 du CESEDA, aux titulaires d’un diplôme au moins équivalent au grade Master présentant un contrat de travail dont la rémunération est égale au minimum à 1,5 fois le SMIC. Dans cette hypothèse, les étudiants étrangers se voient accorder une Autorisation provisoire de séjour – d’une durée de douze mois depuis la  réçente loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche. Aucune disposition favorable n’est prévue s’agissant de l’accès des étudiants et scientifiques étrangers à une activité indépendante.


     En Allemagne, les étudiants étrangers disposent, sans condition de diplôme ou de seuil salarial, d’une autorisation de séjour et de travail d’une durée de 18 mois (Aufenthaltsgesetz, §16.4) en vue de trouver un emploi en rapport avec leurs qualifications. Est également prévue une possibilité pour les étudiants (Aufenthaltsgesetz, §18) et scientifiques (Aufenthaltsgesetz, §20) ayant obtenu leur diplôme en Allemagne d’obtenir, de manière souple -seul un « lien entre les études et l’activité envisagée » est exigé- un titre de séjour en qualité de travailleur indépendant (Aufenthaltsgesetz, §21.2a). De même, la situation nationale de l’emploi ne peut, en Allemagne, être opposée aux apprentis souhaitant « changer de statut » pour devenir salariés (Aufenthaltsgesetz, §27.3).


     Autre exemple, s’agissant de la transposition des directives européennes, et plus particulièrement de la directive « carte bleue européenne » (Directive. 2009/50/CE du Conseil 25 mai 2009), les différences sont également sensibles. Ainsi, si l’Espagne et la France se sont tous deux contentées de transposer la directive dans leur droit national – article 36.3 de la « Ley de Apoyo al Emprededor y su Internacionalización »  en Espagne et article L.313-10, du CESEDA en France, l’Allemagne a transposé ladite directive en édictant des mesures bien plus favorables que les dispositions du texte européen. Ainsi, le seuil salarial de 1,5 fois le salaire moyen annuel (46.400 euros en Allemagne en 2013) requis pour obtenir le titre de séjour issu de la directive « carte bleue européenne » est-il abaissé (36.192 euros en 2013) s’agissant des branches de métier faisant façe à des difficultés de recrutement. Au delà, les « scientifiques disposant d’une expertise spéciale », les enseignants et chargés de recherche de « haut niveau » peuvent obtenir le titre de séjour créé par la directive précitée sans que leur soit opposable aucun seuil salarial.


     Au delà des divergences des politiques nationales, les rapports du REM mettent en avant un point commun s’agissant des effets des politiques menées : leur faible efficacité, ou en tout état de cause leur aspect quantitativement marginal. Ainsi, en Espagne, en 2011, seul 1,95 % du « stock » «  d’autorisations de séjour délivrées à des ressortissants de pays tiers l’ont été dans le cadre des dispositions visant à attirer les ressortissants de pays tiers hautement qualifiés. En France, de la même manière, seuls 4 914 premiers titres de séjour pour motif professionnel ont été délivrés à ces ressortissants. Si la politique menée en Allemagne paraît plus efficace avec près de 27 000 titres de de titres pour ces motifs , le rapport souligne qu’ « aucune relation de cause à effet direct entre ces évolutions (du nombre de « talents étrangers » accueillis) et les politiques menées ne peut être mise en avant ».


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2°/- De timides tentatives de réforme, européenne et nationale, de la politique d’immigration de travail


    Les insuffisances constatées en matière d’accueil des migrants qualifiés et hautement qualifiés, déjà mises en évidence dans les précédents rapports du REM, ne semblent pas de nature à être comblées dans un futur proche, ni par les propositions de directive émanant de la commission européenne (« paquet sur l’immigration légale ») (A) ni par les pistes évoquées, en France, par plusieurs rapports ministériels (B).


A – Une finalisation progressive du « paquet sur l’immigration légale »


Aux deux directives déjà adoptées – « permis unique » (Directive 2011/98/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ; Voir, sur ce sujet : Yves Pascouau, Sheena McLoughlin, « EU Single Permit directive : a small step forward in EU migration policy », European Policy Center, 24 janvier 2012) ) et « carte bleue européenne »  (Directive 2009/50/CE du Conseil 25 mai 2009), la Commission propose d’ajouter trois directives portant respectivement sur les travailleurs saisonniers, les personnes transférées au sein de leur entreprise et les stagiaires rémunérés


      S’agissant des personnes transférées au sein de leur entreprise, la proposition de directive établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays-tiers dans le cadre d’un détachement intragroupe  (COM (2010) 378 final), actuellement en cours d’adoption dans le cadre de la procédure de co-décision semblerait prévoir des conditions relativement favorables. Il s’agit d’étendre aux travailleurs non européens faisant l’objet d’un détachement intragroupe les dispositions de la directive « détachement » (Directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services). La nouvelle directive européenne introduirait une série de règles communes pour faciliter le transfert des cadres, des experts et stagiaires de pays tiers, qui résident en dehors de l’UE et qui possèdent des connaissances spécifiques sur l’entreprise. Les pays de l’Union pourraient accepter ou rejeter une demande de transfert dans un délai de 30 jours et conserveraient le droit de décider du nombre de ressortissants issus de pays tiers admis sur leur territoire. Selon la proposition de la Commission européenne, les États membres devraient se prononcer dans un délai de deux mois sur les demandes de réunification des familles. Craignant un potentiel « dumping social », le Comité Economique et Social Européen a toutefois estimé que : « Les travailleurs concernés seront également détachés depuis des pays tiers où le niveau des salaires et de la protection sociale reste bien inférieur à celui de l’UE » et qu’ainsi, « il est dès lors nécessaire de prévoir un contrôle effectif du respect de la directive, tout en veillant à éviter de faire peser une charge administrative superflue sur les entreprises » (CESE 802/2011 – SOC/393).


     Autre directive en cours de discussion dans le cadre de la procédure de co-décision , la proposition de directive  établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays-tiers aux fins d’un emploi saisonnier (COM(2010)379Final) a fait l’objet d’un très grand nombre d’amendements au cours de la procédure, si bien que la physionomie finale de celle-ci apparaît largement incertaine. Celle-ci devrait toutefois, si l’on se réfère au dernier état des lieux synthétiques réalisé en la matière (« Etat des lieux de la directive relative aux travailleurs saisonniers », point de contact belge du Réseau Européen des Migrations, Février 2013) prévoir des règles minimales communes concernant les droits et devoirs de ces travailleurs. Par exemple, les travailleurs saisonniers bénéficieraient de protections quant à leurs conditions de travail, leurs droits syndicaux et leurs droits sociaux. La directive leur offrirait aussi des garanties procédurales lors de l’introduction de leur demande de travail et de séjour (motivation et notification par écrit du refus ou encore un délai de réponse de 30 jours maximum). En revanche, ils ne pourraient rester plus de 6 mois par année civile dans l’Etat membre d’accueil et ne pourraient bénéficier des systèmes d’aide sociale des Etats membres.


     Enfin, la situation des stagiaires rémunérés devrait être traitée conjointement avec celle des étudiants étrangers, stagiaires non rémunérés et personnes au pair dans le cadre d’une proposition de refonte (COM (2013) 151final) des directives « Etudiants » et « Scientifiques » . en se voyant appliquer les dispositions communes. Les bilans d’étapes de ces directives (Rapport de la Commission, du Parlement et du Conseil sur l’application de la directive 2004/114/CE   COM (2011) 901 final ; Rapport de la Commission, du Parlement et du Conseil sur l’application de la directive 2004/114/CE, COM (2011) 587 final),  alimentée par les rapports du REM et en particulier celle du Point de Contact francais ( Etude principale du REM pour 2012, « L’immigration des étudiants étrangers en France », Septembre 2012), ont conduit à ce que soit envisagée de fusionner et reviser celles-ci dans le sens d’une extension des droits ouverts à ces catégories d’étrangers.


     La proposition de réforme des directives introduirait ainsi un délai obligeant les états membres à se prononcer sous  60 jours (30 dans le cas de mobilité encadrée) sur une demande d’admission au séjour. Serait également fixée un nombre minimal d’heures de travail autorisées aux étudiants étrangers, qui ne pourrait être inférieur à 20 heures. S’agissant de l’accès au travail à l’issue des études, la proposition inclut une possibilité pour les ressortissants étrangers de séjourner douze mois dans l’Etat d’accueil à l’issue des études ou de leurs recherches, en vue de chercher du travail ou créer une entreprise.Enfin, différentes dispositions de la proposition favoriseraient la mobilité intra-européenne des étudiants ressortissants de pays tiers.


Les projets de réforme spécifiquement français sont moins ambitieux.


B – En France : des projets de réforme d’ampleur limitée


     En France, la réforme de la politique d’accueil des « talents étrangers » – a été abordée, principalement, autour du «  débat sur l’immigration professionnelle et étudiante » et, de manière plus confidentielle mais également plus ciblée, par un « Rapport sur l’accueil des talents étrangers » d’avril 2013 (Bernard Hélène, Brassens Bertrand, Cagé Agathe, Fitoussi Bertrand, Le Vert Louis, Rapport sur l’accueil des talents étrangers, Inspections générales du ministère des Affaires étrangères, du ministère de l’Intérieur, du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et du ministère de l’Economie et des Finances, avril 2013).


     Le champ de cette étude paraît particulièrement restrictif et ciblé : il s’agit, outre les sportifs de haut niveau et professions artistiques et culturelles, des étudiants de niveau BAC+5 minimum et des scientifiques, ainsi que des investisseurs et salariés hautement qualifiés étrangers. Ces propositions de réformes se structurent en quatre grands axes : un axe de simplification administrative en premier lieu, visant à supprimer certains titres de séjour et à en créer d’autres ; un axe concernant le pilotage administratif des politiques publiques en second lieu. Les deux autres axes, plus anecdotiques, concernent la mise en place d’une « politique d’accompagnement dynamique » de ces politiques et d’une « politique de communication » plus agressive en direction des migrants qualifiés et hautement qualifiés. (Point de contact francais du REM, « Attirer les talents étrangers », Juillet 2012).


     Outre quelques recommandations relativement anecdotiques, comme la suppression de la carte de résident délivrée pour contribution économique exceptionnelle (recommandation n°2) dont on apprend qu’elle n’a été attribuée qu’à trois personnes depuis sa création, le dispositif phare du rapport consiste en la création d’un « carte attractivité » d’une durée de trois ans renouvelable une seule fois (recommandation n°9) qui serait dans cette hypothèse (recommandation n°24) significativement baptisée du nom de « carte blanche pour la France » (sic).


     Enfin, constatant  la faible effectivité de la carte de séjour « compétences et talents » qui n’aurait été à ce jour délivrée qu’à 3018 ressortissants étrangers depuis 2007 (Annexe 4 du rapport), le rapport s’interroge (proposition n°1) sur la nécessiter d’étendre le bénéfice titre de séjour commerçant aux investisseurs étrangers et aux associés étrangers d’entreprises françaises non gérants des sociétés auxquelles ils sont associés.


     Les propositions du rapport relatives au séjour des « talents étrangers » en France insistent également sur la question, essentielle, de la circulation de ceux-ci. Il est ainsi proposé d’étendre aux « publics attractivité » la possibilité, en lien le développement de la réflexion sur les « migrations circulaires » (« Migration temporaire et circulaire : résultats empirique, pratiques politiques et options qui se présentent, étude du point de contact français du REM, Octobre 2013 ) , d’être inscrit sur une « liste d’attentions positives » permettant la délivrance accélérée de visas de circulation à entrées multiples, permettant de faciliter, pour les « artistes » et « hommes d’affaires », les allers-retours entre la France et leur pays d’origine (Proposition n°12).


     Le rapport propose en dernier lieu, s’agissant du pilotage des politiques destinées à attirer les « talents étrangers », en confiant à l’OFII le rôle de guichet unique pour le titre de séjour « attractivité » (Proposition n°16) , et de mettre en place un programme « parcours talents » piloté par un chargé de mission rattaché à la direction générale de la mondialisation du Ministère des affaires étrangères (proposition n° 23).


     Les propositions du rapport concernant l’accueil d’étudiants de niveau « Bac+5 » principalement axées autour de la promotion des mobilités encadrées et d’un meilleur suivi de la réalité et du sérieux des études des étudiants étrangers, sont à envisager de concert avec le rapport dit « Fekl » et le débat sur l’immigration professionnelle et étudiante. (Voir sur ce point : L’étudiant étranger sous les projecteurs français et européens – ADL du 8 juillet 2013) S’agissant des étudiants, et en retrait au regard de la proposition de loi « Gillot » relative à l’attractivité universitaire de la France, se verraient délivrer un titre de séjour de deux ans (après obtention d’un VLS-TS de un an) pour la licence, un titre de deux ans pour le master et un titre de 4 ans pour les doctorants.


     Néanmoins, un rapport plus réçent, produit par le commissariat général à la stratégie et à la prospective propose des pistes de réforme plus proches des dispositions de la défunte proposition de loi Gillot (Commissariat général à la prospective et à la stratégie, « Etudiants et marché du travail »,, novembre 2013). Le rapport propose ainsi de supprimer, dans le cas de procédures de « changement de statut » d’étudiant à salarié, le critère de l’opposabilité de la situation de l’emploi pour tous les étudiants étrangers titulaires d’un diplôme au moins équivalent à la licence (proposition n°1 et 2). Une autre proposition consisterait, quand à elle , à « établir des critères objectivables »pour la délivrance d’un titre de séjour salarié, passant par une redéfinition de cette relation entre l’étudiant et l’administration préfectorale, en donnant un rôle plus central aux entreprises et aux établissements d’enseignement supérieur (proposition n°3).


     Le « débat sur l’immigration professionnelle » n’a, à ce stade, pas permis de définir de manière précise quelles seront les propositions retenues en vue du projet de loi prévu (semble-t-il) pour l’automne 2013. Néanmoins, les réflexions menées par l’administration sur ce sujet témoignent de la volonté, confirmée, des pouvoirs publics de multiplier les dispositifs dérogatoires destinés à étrangers considérés comme « désirables », et, partant, de poursuivre l’institutionnalisation d’un système d’accueil à « deux vitesses », et ceci au risque de porter une nouvelle atteinte à la cohérence des politiques publiques en la matière et, plus généralement, à ce que certains auteurs ont pu désigner comme l’ « unité du droit des étrangers » (Emmanuelle Saulnier-Cassia, Vincent Tchen, « Unité du droit des étrangers et égalité de traitement », Dalloz, collection « Thèmes et commentaires », 2009).


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     La vision utilitariste de l’immigration de travail, loin de se limiter au débat politique français, a en Europe des racines anciennes, et constitue la base idéologique principale d’un processus politique et juridique entamé depuis près de 15 ans. Le leitmotiv d’attirer les « talents étrangers », semble, au vu des données, constituer un échec. En effet, relevant d’une approche fragmentaire du droit et multipliant les statuts dérogatoires, la politique des institutions européennes en la matière apparaît fondamentalement contraire à l’objectif de « traitement équitable » des migrants économiques . Comme le souligne Sergio Carrera, une politique basée de manière exclusive sur l’accord de droits aux seuls migrants hautement qualifiés ne fait « qu’introduire, de manière discutable, une divergence de traitement entre les migrants « hautement qualifiés » et les autres travailleurs migrants », et incite donc de ce fait à exprimer « de réelles inquiétudes quand à une discrimination potentielle (« Labour immigration policy in the EU » : in A Renewed Agenda for Europe 2020. Sergio Carrera, Anaïs Faure Atger, Elspeth Guild and Dora Kostakopoulou. No. 240, 5 April 2011).


     Les objectifs fixés, à savoir attirer les migrants les plus brillants en vue stimuler la croissance européenne et mettre en place un cadre juridique suffisamment souple et accueillant pour permettre une venue de migrants qualifiés et hautement qualifiés en Europe sur le long terme, semblent loin d’être remplis au vu des données juridiques et statistiques pointés dans l’étude. Le nouvel article 79 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) confiant à l’Union  « la mission de développer une politique commune de l’immigration visant à assurer une  gestion efficace des flux migratoires »  et étendant le vote à la majorité aux questions migratoires ne semble pas, pour l’instant, avoir ouvert la voie à des réformes plus ambitieuses. En effet, comme l’on souligné certains auteurs des divergences d’approche entre les directions générales de la commission européenne ont compliqué l’émergence d’une politique ambitieuse (« Une politique européenne d’immigration de travail, l’entrouverture communautaire », Université de Liège Doctorat en sciences politiques et sociales, 2011). Au-delà, le caractère peu harmonisateur du faible acquis communautaire en matière d’immigration de travail ouvre la voie, comme le démontre la présente étude, à de fortes divergences dans les politiques menées au niveau des Etats-membres : c’est ainsi à une « mise en concurrence » plus qu’à une mise en cohérence des stratégies que l’on assiste.


     La multiplication des statuts dérogatoires réservés à une élite d’étrangers et la faible portée des politiques visant à établir une égalité de traitement conduisent aussi à institutionnaliser, au niveau européen et au niveau national, une politique d’immigration de travail à deux vitesses et peu transparente. En définitive cette politique semble plus aisément être envisagée sur le mode de la « faveur juridique » -et, partant, du « non-droit » accordée avec parcimonie à un ensemble de populations au contour mouvant, qui ne semble définissable qu’ « uniquement par la faveur qu’on leur accorde ou non » (Sylvia Preuss-Laussinotte, « Faveur et droit des étrangers », in La faveur et le droit, Gilles Guglielmi (dir.), PUF, 2000). Des déclarations politiques sur la nécessité d’instaurer une « égalité de traitement » des étrangers à la mise en place, dans les faits, d’une politique de « tri » des migrants, la politique d’immigration de travail témoigne une fois de plus de la difficulté d’étendre le bénéfice de l’égalité à l’étranger qui, « s’il a parfois des faveurs, n’a que rarement de véritables droits » (Danièle Lochak, « Etrangers, de quel droit » ? Paris, 1985).


Réseau Européen des Migrations, juillet 2013, « Etude du PCN français : attirer les talents étrangers en France » (Note d’information) – Rapports des autres « points de contact nationaux » au sein de l’Union européenne


Pour citer ce document :

Jean-Philippe Foegle, « L’immigration “choisie“ au prisme des politiques européennes », [PDF] in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 18 novembre 2013.


Les Lettres « Actualités Droits-Libertés » (ADL) du CREDOF (pour s’y abonner) sont accessibles sur le site de la Revue des Droits de l’Homme (RevDH)Contact

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