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8 Mai 2013

Protection des droits de l’homme en Europe : Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe sonne l’alarme


par Agathe Sireyjol


     Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a publié officiellement son Rapport annuel d’activités pour 2012. Nils Muižnieks a présenté le 25 avril 2013 son premier rapport par ces mots : « la situation des droits de l’homme est complexe et inquiétante ». Le travail du Commissaire met en lumière des problèmes partagés par de nombreux Etats membres : « discrimination ; violence raciste et antitsiganisme ; rejet des migrants ; vulnérabilité accrue des enfants ; exclusion des personnes handicapées ; restrictions de la liberté d’expression ; et inefficacité des systèmes judiciaires nationaux ». Rappelant l’interdépendance des droits de l’homme et leur caractère universel, le Commissaire s’alarme de la fragilisation des droits économiques et sociaux mais aussi des droits civils et politiques. Il insiste sur le rôle des Défenseurs des droits de l’homme ainsi que sur l’importance d’une coopération avec les structures nationales des droits de l’homme et des organisations européennes et internationales.


     La situation des droits de l’homme est jugée préoccupante par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Nils Muižnieks a présenté le 25 avril le Rapport annuel d’activités 2012, qui retrace son travail, après avoir succédé à Thomas Hammarberg en avril 2012. Cette institution indépendante a pour mission de promouvoir la prise de conscience et le respect des droits de l’homme dans les 47 États membres du Conseil de l’Europe. Au cours de ses visites dans 11 pays, le Commissaire a réalisé des enquêtes de terrain et s’est entretenu avec des autorités, des responsables politiques et des représentants d’ONG. Il ressort de ses rapports par pays une protection imparfaite des droits de l’homme parfois spécifique à un contexte national, mais souvent commune dans ses thématiques aux différents États.


     Le mandat du Commissaire est fixé par la résolution (99) 50 adoptée par le Conseil des Ministres le 7 mai 1999. Parmi ses multiples missions figurent la promotion du respect effectif des droits de l’homme et une aide des États à la mise en œuvre des normes du Conseil de l’Europe ; la promotion de l’éducation et de la sensibilisation aux droits de l’homme dans les États membres ; l’indication des éventuelles insuffisances dans le droit et la pratique dans le domaine des droits de l’homme ; la facilitation des activités des structures chargées des droits de l’homme ; et enfin le rendu de conseils et d’informations sur la protection des droits de l’homme en Europe. Le Rapport 2012 fait une synthèse de ses visites, de son travail thématique et de ses activités de sensibilisation.


     Les deux grandes priorités identifiées pour l’année 2012 par le Commissaire sont l’impact de la crise économique et des mesures d’austérité sur la jouissance des droits de l’homme, d’une part, et la liberté d’expression et des médias, particulièrement au sujet d’Internet et des réseaux sociaux, d’autre part.


     Les mesures d’austérité développées en temps de crise économique ont tout d’abord de graves conséquences sur les droits économiques et sociaux par l’ « érosion des socles de protection sociale » touchant lourdement les groupes les plus vulnérables. De même, les droits civils et politiques se trouvent menacés en raison des restrictions budgétaires que connaissent l’appareil judiciaire et les structures nationales des droits de l’homme (v. son article du 31 mai 2012 « Les structures nationales des droits de l’homme peuvent contribuer à atténuer les effets des mesures d’austérité »), dans un climat de défiance face au système démocratique et d’intolérance vis-à-vis de l’Autre. Au titre de sa défense de la cohésion sociale, le Commissaire indique que « les droits de l’homme sont le ciment permettant aux sociétés européennes de rester unies face (au) phénomène (de crise) ». Il préconise des processus participatifs, transparents et responsables pour l’élaboration et l’exécution des budgets d’austérité. Par ailleurs, l’accès à la justice se trouverait facilité par « des dispositifs d’aide juridique, des possibilités d’engager des actions en justice dans l’intérêt général et des mécanismes de plaintes aisément accessibles ». Ces propos font ainsi écho à ceux du Comité européen des droits sociaux qui, à l’occasion du contrôle des mesures « anti-crise » grecques, a souligné que la situation de crise économique ne permet pas de justifier des atteintes excessives au respect des droits sociaux, v. CEDS, 12 mai 2012, GENOP-DEI et ADEDY c. Grèce, Réclamation n° 65/2011 et GENOP-DEI et ADEDY c. Grèce, Réclamation N° 66/2011 – ADL du 15 novembre 2012).


     La seconde priorité du Commissaire est la liberté d’expression et la liberté des médias, et notamment la question de la liberté d’Internet et des réseaux sociaux (v. son article du 3 mai 2013 « La liberté de la presse à l’ère numérique : nouvelles menaces, nouveaux défis »). Dans ce cadre il a travaillé en 2012 sur la protection des journalistes contre la violence et s’est insurgé de ces atteintes au cœur des démocraties (v. son article du 5 juin 2012 « Des journalistes continuent à être agressés en Europe : ils ont besoin d’être protégés contre la violence » ; v. aussi le rapport de son prédécesseur, « Ethical journalism and human rights », 1er mars 2011 – ADL du 3 mars 2011). Dans une réflexion sur la liberté d’Internet, il a rappelé la nécessité de garantir la pérennité de cet espace ouvert, global et public, qui est selon lui le dernier refuge de la liberté d’expression mais qui soulève de nombreuses questions, telle la protection des données. Au cours du Forum sur la gouvernance de l’Internet, il s’est interrogé sur les moyens d’assurer la sécurité des intervenants sur les médias en ligne (sur la liberté de la presse, v. récemment le rapport 2013 de Reporters Sans FrontièresADL du 1er février 2013 ; v. aussi l’avis sur la réforme de la protection du secret des sources de la Commission nationale consultative des droits de l’homme – ADL du 28 avril 2013).


     Dans un contexte marqué par le sentiment d’incertitude et la montée de l’intolérance, l’universalité des droits de l’homme est ignorée quand les libertés et droits fondamentaux de certains groupes sont limités. Les groupes définis comme vulnérables sont :


– Les enfants, dont la pauvreté se développe, la situation des apatrides et des Roms étant la plus préoccupante (v. son article du 15 janvier 2013 « Les Etats devraient défendre l’intérêt supérieur des enfants apatrides » et son article du 8 novembre 2012 « Les Etats doivent prendre des mesures énergiques pour mettre fin à la ségrégation scolaire des Roms ») ;


– Les personnes handicapées souvent mal intégrées à la société (v. l’article du 13 mars 2012 « Les personnes handicapées ont un droit à être intégrées dans la société – les autres doivent respecter ce principe » et l’article du 20 février 2012 « Les personnes ayant des déficiences intellectuelles et psychosociales ne doivent pas être privées de leurs droits individuels ») ;


– les personnes âgées à faibles revenus (v. l’article du 19 janvier 2012 « Les politiques discriminatoires à l’égard des personnes âgées doivent cesser »).


     Le Commissaire accorde aussi une attention particulière aux femmes et dénonce les violences à leur encontre (v. son article du 9 octobre 2012 « Les Etats devraient faire davantage pour protéger les femmes de la violence »). Enfin, la question des droits des lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels et intersexués (LGBTI) a interpellé le Commissaire, notamment sur la question des libertés d’expression et de réunion (v. l’article du 21 juin 2012 « Réduire les voix qui s’élèvent contre l’homophobie au silence constitue une violation des droits de l’homme »).


     Le Commissaire pointe du doigt les discriminations fondées sur l’origine. La protection des droits de l’homme des Roms est une priorité, les minorités Roms étant « de plus en plus exposées à la discrimination, au racisme et à l’intolérance » (v. le Rapport de février 2012 « Human rights of Roma and travellers in Europe » ; v. CEDS, Décision sur le bien-fondé, 11 septembre 2012, Médecins du monde – International c. France, Réclamation n° 67/2011ADL du 2 février 2013). Au-delà de la ségrégation des enfants roms dans l’enseignement (Cour EDH, G.C. 16 mars 2010, Oršuš et autres c. Croatie, Req. no 15766/03 – ADL du 16 mars 2010), les expulsions de Roms non assorties de solutions adéquates de relogement et la ségrégation résidentielle sont des questions sur lesquelles travaille assurément le Commissaire (v. son article du 22 novembre 2012 « Arrêtons de chasser les Roms, passons à l’intégration »).


     En outre, les politiques sécuritaires ignorent souvent les principes humanitaires et interrogent la place des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile en Europe (v. le Rapport d’octobre 2012 « The protection of migrant rights in Europe » ; v. ADL du 21 février 2013 sur CFDA, 13 février 2013, « Droit d’asile en France : conditions d’accueil, état des lieux 2012 »). Le Commissaire exhorte également les États membres à combattre la discrimination et les préjugés (v. l’article du 24 juillet 2012 « Les préjugés antimusulmans entravent l’intégration »). De plus, il demande à ce que les défenseurs des droits des migrants soient davantage protégés pour assurer leur mission (v. l’article du 19 décembre 2012 « Les restrictions affectant les défenseurs des droits des migrants doivent cesser »).


     Une fois le principe fondamental d’égalité rappelé, ce sont les principes démocratiques essentiels qui doivent être compris, et dans le cadre d’un Etat de droit, l’accès à la justice. Or il ressort du rapport un grave dysfonctionnement du système judiciaire de certains États membres, notamment ceux faisant l’objet d’affaires récurrentes portées devant la Cour européenne des droits de l’homme (v. l’article du 20 mars 2012 « L’ingérence des responsables gouvernementaux dans les affaires judiciaires fausse la justice »). Face à ce constat de mise en danger de la prééminence du droit, le Commissaire appelle les États membres à remédier aux causes structurelles du dysfonctionnement. Par ailleurs, le Commissaire dénonce la lenteur de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, qui remet « en cause notre système de protection des droits de l’homme, mais aussi l’essence même des valeurs européennes sur lesquelles se fonde notre Organisation » (sur l’exécution des arrêts, v. ADL du 11 février 2013 et ADL du 11 janvier 2013 in fine).


     Le rapport annuel d’activités 2012 du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe doit beaucoup aux Défenseurs des droits de l’homme. La coopération étroite avec les structures nationales des droits de l’homme enrichit grandement le travail du Commissaire en facilitant sa compréhension des contextes nationaux. Une coopération est aussi établie avec des organisations européennes et internationales, que ce soit dans le cadre de l’Union européenne, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ou des Nations Unies. La prise en compte des rapports par pays du Commissaire pour l’Examen périodique universel (EPU) témoigne du rôle clé de cette institution (sur l’EPU, lire ADL du 22 janvier 2013).


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     La médiatisation des documents émanant du Commissaire aux droits de l’homme va dans le sens d’une plus grande sensibilisation aux questions touchant aux droits de l’homme. Ainsi, dans le film présentant les activités du Commissaire, diffusé en concomitance avec la présentation du rapport, se conclut sur ces mots de Nils Muižnieks : « Tels sont, selon moi, le travail du Commissaire et la signification des droits de l’homme : aider les gens à vivre des vies meilleures ».


     Mais plus généralement encore, c’est l’œuvre de l’ensemble des acteurs européens des doits de l’homme qui contribue à une meilleure protection de ces derniers. Les avant-propos du Commissaire n’ignorent pas cette réalité. Il écrit ainsi : « tant que, dans certains de nos États membres, des journalistes et des militants des droits de l’homme risquent d’être tués ou emprisonnés pour avoir simplement fait leur travail, nous ne pouvons pas considérer nos démocraties comme sûres ». Une note optimiste conclut sa présentation du rapport : « ce qui me donne le plus d’espoir, c’est l’action menée par tous ces défenseurs des droits de l’homme et militants d’ONG qui luttent courageusement, partout en Europe ».


Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, 10 avril 2013, Rapport annuel d’activités 2012Communiqué


Pour aller plus loin :

– Le film « Commissioner in action » (de Jean-Luc Nachbauer), sur les activités du Commissaire aux droits de l’homme, publié en concomitance avec la présentation du rapport.

– Le blog « Le carnet des droits de l’homme » du Commissaire du Conseil de l’Europe.


Pour citer ce document :

Agathe Sireyjol, « Protection des droits de l’homme en Europe : Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe sonne l’alarme » [PDF] in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 8 mai 2013.


Les Lettres « Actualités Droits-Libertés » (ADL) du CREDOF (pour s’y abonner) sont accessibles sur le site de la Revue des Droits de l’Homme (RevDH)Contact