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30 décembre 2013

Droits des personnes handicapées (Art. L. 521-2 CJA) : L’effectivité du droit à une prise en charge effective par le biais du référé-liberté


par Sylvia-Lise Bada


     Par deux ordonnances de référé, l’une rendue le 7 octobre 2013 par le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, l’autre par le Conseil d’État le 27 novembre 2013, le juge administratif a considéré que la carence de l’État et des autres personnes publiques chargées de l’action sociale en faveur des personnes handicapées, dans la mise en œuvre de l’obligation d’assurer leur prise en charge effective, pluridisciplinaire et adaptée, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, à condition d’être caractérisée au regard des pouvoirs et des moyens dont dispose l’Administration.


     Une étape considérable a été franchie le 7 octobre dernier en ce qui concerne la protection des droits des personnes handicapées. Le juge administratif des référés de Cergy-Pontoise, saisi à l’initiative de l’Union nationale des associations de parents de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei), avait ordonné à une agence régionale de santé (ARS) de trouver une solution de prise en charge effective d’une jeune femme frappée d’un polyhandicap et d’un syndrome autistique. Cette affaire très médiatisée, désignée comme l’« affaire Amélie » en référence au prénom de la jeune femme, présentait un enjeu non négligeable, puisqu’une issue favorable pour les requérants laissait présager une longue série d’autres développements juridictionnels, si l’on considère le nombre accru d’enfants et d’adultes frappés d’un handicap mental, sans solution de prise en charge adaptée en France. Ainsi que l’affirmait Christel Prado, présidente de l’Unapei : « il y a énormément d’Amélie ». Leur nombre est estimé à au moins 10 000.


     Aussi, l’ordonnance rendue par le juge administratif des référés a suscité la crainte du ministère de la Santé, qui, ne dissimulant point son appréhension d’une déferlante de requêtes semblables à l’encontre de l’État, avait entrepris, avant de se raviser, de faire appel devant le Conseil d’État afin « de censurer le raisonnement qui sous-tend cette ordonnance, dont on peut craindre qu’elle suscite un nombre considérable de demandes auxquelles l’administration ne pourra de toute évidence pas faire face ». L’effet espéré par l’Unapei ne s’est pas fait atteindre : le 27 novembre 2013, le juge des référés du Conseil d’État était saisi en appel d’une ordonnance du 31 octobre 2013 par laquelle le juge des référés du Tribunal administratif d’Orléans rejetait la demande présentée par les parents d’un enfant atteint de troubles autistiques.


     Cette requête, comparable à celle présentée par les parents d’Amélie, visait à enjoindre à l’Administration d’assurer le placement de l’enfant dans un institut médico-éducatif (IME) ou à défaut, d’ « assurer une prise en charge « effective dans la durée, pluridisciplinaire et adaptée à son état et à son âge » par la création d’une place dotée en personnels suffisants et compétents au sein d’un institut médico-éducatif ou de prononcer toute mesure utile au rétablissement des libertés fondamentales ». Déboutant les requérants, le Conseil d’État est venu préciser la teneur et la portée des obligations incombant à l’État et aux autres personnes publiques chargées de l’action sociale en faveur des personnes handicapées, dans le cadre de la réalisation de leur mission de prise en charge de ces dernières.


     En effet, si dans l’affaire Amélie, le juge administratif avait pour la première fois considéré que « la privation d’une prise en charge adaptée pour une personne souffrant de tels handicaps est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale justifiant l’intervention urgente d’une mesure de sauvegarde au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, lorsqu’eu égard à leur gravité, les troubles du comportement dont elle souffre emportent un risque vital tant pour elle-même que pour son entourage » (), dans l’ordonnance de référé rendue le 27 novembre dernier, le Conseil d’État a jugé que la carence de l’Administration doit, en outre, être nécessairement « caractérisée au regard notamment des pouvoirs et des moyens dont disposent » les autorités administratives ().


1°/- Le caractère novateur de la sanction, dans le cadre d’un référé-liberté, de la carence de l’administration dans sa mission de prise en charge effective des personnes handicapées


     Une histoire douloureuse est à l’origine de l’ordonnance rendue par le juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Amélie, une jeune femme âgée de 19 ans, est frappée d’un polyhandicap et d’autisme. Plus précisément, elle souffre du syndrome de Prader Willi, une maladie génétique rare entraînant des troubles du comportement voire des troubles psychiatriques, des difficultés d’apprentissage et une obésité morbide. Outre ce syndrome, la  jeune femme présente des troubles autistiques sévères nécessitant une surveillance constante. Depuis 2001, c’est-à-dire depuis ses 7 ans, elle était prise en charge par l’Institut médico-éducatif (IME) de l’Isle-Adam. En 2009,  sous la pression de l’institut, les parents d’Amélie avait consenti à la prendre en charge au domicile familial à mi-temps. Cette solution, censée initialement être provisoire, s’est prolongée.


     Le 20 avril 2011, la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) du Val d’Oise décidait d’orienter la jeune femme vers une Maison d’accueil spécialisé (MAS). Cependant, aucune ne fut en mesure de l’accueillir. Seul un établissement situé en Belgique avait accepté de la prendre en charge dans un premier temps, puis avait refusé de la garder par la suite. Ainsi, le lendemain de son admission, elle était de retour chez ses parents, très perturbée par ce retour précipité qu’elle ne comprenait pas. Cette déstabilisation lui a coûté un séjour de plusieurs semaines en hôpital psychiatrique. A l’issue de ce séjour, la jeune femme, bien qu’ayant atteint la majorité, réintégra l’IME de l’Isle-Adam, tenu de la reprendre conformément à l’ « Amendement Creton » prévoyant que « lorsqu’une personne handicapée placée dans un établissement d’éducation spéciale ne peut être immédiatement admise dans un établissement pour adulte (…), ce placement peut être prolongé au-delà de l’âge de vingt ans ou, si l’âge limite pour lequel l’établissement est agréé est supérieur, au-delà de cet âge dans l’attente de l’intervention d’une solution adaptée ».


     Or, le jour même de sa réintégration à l’IME, l’établissement fit appel aux urgences psychiatriques pour hospitaliser de nouveau Amélie. Le 5 octobre 2012, la directrice de l’IME demandait son départ de l’établissement, au motif de l’inadaptation de cette structure à ses besoins, mais également de l’épuisement du personnel en ayant la charge. Malgré une deuxième décision de la CDAPH en date du 21 mai 2013, orientant Amélie en foyer d’accueil médicalisé (FAM), elle est restée privée de prise en charge effective en raison soit, du refus des établissements de l’accueillir, soit, du manque de place. Au moment de la requête, la jeune femme était prise en charge jour et nuit par ses parents, au domicile familial, sans aucun relais par des professionnels.


     L’Unapei ainsi que les parents d’Amélie agissant en leur nom et au nom de leurs enfants, ont saisi le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise le 26 septembre 2013  dans le cadre d’une procédure d’urgence. En application de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative relatif au référé-liberté, ils demandaient au juge des référés d’enjoindre au directeur général de l’agence régional de santé  (ARS) de l’Ile-de-France et au président du Conseil général du Val-d’Oise de prendre « toutes mesures nécessaires » afin de trouver une structure d’accueil pour la jeune femme : soit, en assurant « l’exécution de la décision de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) de la maison départementale des personnes handicapées du Val-d’Oise en date du 20 avril 2011, pour une orientation de la jeune Amélie (…) en maison d’accueil spécialisé à compter du 1er mai 2011 ainsi que la décision de la même commission en date du 21 mai 2013 pour l’orientation de la jeune Amélie (…) en foyer d’accueil médicalisé à compter du 1er février 2012 » ; soit, à défaut, à sa prise en charge « effective dans la durée, pluridisciplinaire et adaptée à l’état et à l’âge » de cette dernière « par la création d’une place dotée en personnels suffisants et compétentes au sein d’une maison d’accueil spécialisé ou d’un foyer d’accueil médicalisé dans la région parisienne, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la décision à intervenir ».


     Les parents ainsi que l’Unapei demandaient au juge administratif des référés d’assortir cette injonction d’une astreinte de 200 euros par jours de retard en cas d’inexécution dans le délai fixé, ou de prononcer « toute mesure qu’il jugera utile au rétablissement des libertés fondamentales ». Précisons que l’ARS est compétente en matière de planification, d’autorisation de création de places et de tarification (articles L. 1431-2, 2°, B du code de la santé publique et L. 313-3 du code de l’action sociale et des familles). Elle exerce également une compétence conjointe avec le conseil général en ce qui concerne les FAM.


     Les requérants estimaient que la condition d’urgence exigée par l’article L. 521-2 du CJA était remplie dès lors que l’état de santé d’Amélie nécessite « une prise en charge médico-sociale adaptée » et que « son retour au domicile familial […] entraîne un risque permanent  pour sa santé et celle de sa famille ». En effet ; « les diagnostics médicaux établissent qu’elle souffre du syndrome de Prader Willi, d’un syndrome autistique sévère, d’une retard mental moyen avec déficience du comportement significatif nécessitant surveillance et traitement, d’une obésité morbide ; que les troubles du comportement liés à son état sont les suivants : forte agressivité, pratiques excrémentiels provoquant de fréquentes hémorragies, recherche constante de nourriture, ingestion d’objets et/ou de produits dangereux, agitation constante ; que ces troubles déjà considérables lorsqu’elle était prise en charge au sein d’un IME menacent directement et constamment sa personne et ses proches et s’amplifient dans des proportions démesurées et insupportables au quotidien […] ».


     En outre, les requérants avançaient que la situation d’urgence était également constituée pour la famille de la jeune handicapée dans la mesure où elle « se trouve placée sans y avoir été préparée et sans mesure d’accompagnement devant la nécessité de se substituer 24h sur 24, à une prise en charge en maison d’accueil spécialisé ou en foyer d’accueil médicalisé ; que la famille a réellement tenté depuis la sortie de l’IME à ce jour de faire face mais a vécu 9 mois d’enfer aux termes desquels une hospitalisation d’urgence en établissement de santé mental a dû intervenir ; que cette situation ne peut mener qu’à une situation d’écroulement psychique de tous les membres de la famille voire à une issue définitive et dramatique ».


     Également, les requérants estimaient que l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, exigée par l’article L. 521-2 du CJA était constituée. Ils invoquaient en premier lieu, la menace grave, directe et immédiate, de plusieurs libertés fondamentales : le droit à la vie d’Amélie en raison de la carence des autorités publiques dans la création de places adaptées en MAS ou en FAM et de son retour à domicile sans mesure d’accompagnement, mettant sa santé en danger ; de même que le droit à la vie et le droit de mener une vie familiale normale pour les membres de la famille d’Amélie (ses parents et son frère) en raison de leur état d’épuisement psychique et physique, ainsi que du danger caractérisé résultant du retour d’Amélie au domicile familial.


     En second lieu, les requérants estimaient que le caractère manifestement illégal de l’atteinte aux libertés fondamentales évoquées résultaient de la méconnaissance, par l’ARS et le Conseil général, de dispositions législatives, de la jurisprudence du Conseil d’État et des dispositions d’une convention internationale protégeant le droit à la compensation du handicap: «  la personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap en application de la loi 2005-102 du 11 février 2005 ; que la compensation du handicap relève de la solidarité nationale ; que la prise en charge effective d’Amélie par une MAS ou un FAM en exécution des deux décisions de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées du 20 avril 2011 et du 21 mai 2013 relève précisément de la mise en œuvre du droit à compensation ; que le caractère manifestement illégal de la situation résulte également de la méconnaissance de l’article L. 241-9 du code l’action sociale et des familles, dès lors qu’en application de cet article les personnes autistes et polyhandicapées ont droit à une prise en charge pluridisciplinaire effective et adaptée ; que l’absence de prise en charge adaptée est contraire à la jurisprudence du Conseil d’État (CE Beaufils, n° 318501 du 16 mai 2011) ; que l’atteinte grave et manifestement illégale résulte également de la méconnaissance des dispositions de la convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées et de son protocole facultatif ratifiés le 18 février 2010 (…) ».


     L’ARS d’Ile-de France représentée par son directeur général déclinait toute responsabilité dans l’atteinte aux libertés fondamentales invoquée par les requérants. Estimant que ses missions se limitent à autoriser, tarifer et contrôler les structures, et non à organiser le placement individuel des personnes handicapées, elle considérait qu’elle avait accompli son rôle de planification de l’offre médico-sociale et de l’accès aux soins. Arguant du fait que « la difficulté pour Amélie ne tient pas tant à un manque de place dans le département qu’à la difficulté d’obtenir son admission », l’ARS soutenait qu’elle n’avait « aucun moyen […] d’imposer l’admission d’une personne dans un établissement, ce pouvoir appartenant au seul directeur de la structure ».


     Le département du Val-d’Oise, quant à lui, faisait valoir que la solution à la situation de la jeune handicapée ne relevait pas de sa compétence et qu’il n’était pas l’auteur de l’atteinte aux libertés fondamentales invoquées par les requérants : « aucune carence ne peut être reprochée au département qui a accompli tout ce qui était possible pour qu’Amélie soit placée dans une institution capable de l’accueillir ; qu’il n’est responsable d’aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ; qu’aucun texte législatif ou réglementaire ne lui donne compétence pour « ordonner » l’accueil d’une personne handicapée dans un foyer d’accueil médicalisé et a fortiori dans une maison d’accueil spécialisé qui relève de la tutelle exclusive  de l’agence régionale de la santé d’Ile-de-France (…) ».


     Le juge des référés accueillit la demande des requérants. Rappelant, d’une part, que les articles L. 114-1 et L. 246-1 du code de l’action sociale et des familles font peser sur l’État et les autres publiques en charge de l’action sociale en faveur des personnes handicapées une obligation de résultat qui « leur impose d’assurer la prise en charge effective des personnes atteintes de syndrome autistique ou de polyhandicap », et que d’autre part, la privation d’une telle prise en charge pour une personne handicapée est « susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale justifiant l’intervention urgente d’une mesure de sauvegarde au sens des dispositions de l’article L 521-2 du code de justice administrative lorsqu’eu égard à leur gravité, les troubles du comportement  dont elle souffre emportent un risque vital tant pour elle-même que pour son entourage », le juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-pontoise a estimé qu’en l’espèce, et dans la mesure où l’offre de soins pour les établissements susceptibles d’accueillir Amélie relève de la compétence de l’ARS, « les conditions justifiant l’intervention urgente d’une mesure de sauvegarde au sens des dispositions de l’article L 521-2 du code de justice administrative étant réunies, il y a lieu d’enjoindre au directeur de l’ARS d’Ile-de-France de prendre toutes dispositions pour qu’une offre de soins permettant la prise en charge effective, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance, de la jeune Amélie par un établissement médico-social adapté à son état, soit présentée à [ses parents] ». Il a assorti par ailleurs cette injonction d’une astreinte de 200 euros par jour de retard.


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     Par cette ordonnance, la carence dans l’accomplissement de la mission de prise en charge effective des personnes souffrant d’un polyhandicap et de troubles autistiques a été pour la première fois sanctionnée dans le cadre d’un référé-liberté. Cette affaire présentait un enjeu considérable puisque l’issue favorable pour les requérants laissait présager une multiplication de requêtes dans le même sens. Le 27 novembre 2013, le juge des référés du Conseil d’État se prononçait suite à sa saisine en appel d’une ordonnance du 31 octobre 2013 par laquelle le juge des référés du Tribunal administratif d’Orléans rejetait une demande présentée par les parents d’un enfant atteint de troubles autistiques. Déboutant les requérants, le Conseil d’État est venu préciser davantage les conditions de la sanction de la carence de l’Administration en matière de prise en charge des personnes handicapées dans le cadre du référé-liberté. Cette dernière ordonnance apaisera certainement la crainte exprimée par le ministère de la Santé d’une « judiciarisation de l’accueil et de l’accompagnement des personnes handicapées ».


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2°/- L’encadrement du recours au référé-liberté pour le contentieux de l’accueil et de l’accompagnement des personnes handicapées


     Les faits à l’origine de l’ordonnance de référé rendue par le Conseil d’État le 27 novembre 2013 différaient quelque peu de ceux à l’origine de « l’affaire Amélie ». En l’espèce, les requérants avaient un enfant atteint d’un syndrome autistique sévère qui avait été pris en charge de la rentrée scolaire 2011 jusqu’au mois de juin 2013 dans une unité dédiée aux enfants de 3 à 6 ans, dans un centre hospitalier, à raison de trois demi-journées par semaine. En raison de son âge, l’enfant a fait l’objet d’une réorientation dans un IME adapté aux enfants autistes. Trois décisions ont été prises par la CDAPH des Yvelines les 22 mars, 12 juillet et 29 novembre 2012 pour autoriser sa prise en charge en semi-internat à temps plein dans un IME du 1er octobre 2012 au 31 juillet 2014. Depuis le mois de septembre 2013, l’enfant ne bénéficiait que d’une prise en charge à raison de quatre heures par semaine par un service d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) et d’une possibilité d’hébergement de nuit en cas d’urgence, dans la limite de 90 jours par an. Les multiples demandes présentées par les parents depuis le mois de mars 2012, auprès des IME des Yvelines et du Loir-et-Cher mentionnées dans les décisions de la CDAPH, s’étaient heurtées à des refus en raison du manque de places disponibles.


     Dans le cadre de la procédure du référé-liberté (article L 521-2 du CJA), les requérants ont demandé au juge des référés du Tribunal administratif d’Orléans qu’il soit enjoint au directeur de l’ARS du Centre et au président du Conseil général du Loir-et-Cher de prendre « toutes mesures nécessaires pour assurer l’exécution de la décision du 29 novembre 2012 de la CDAPH des Yvelines préconisant une orientation de leur fils dans un IME du Loir-et-Cher », ou à défaut, « toutes mesures nécessaires pour assurer une prise en charge effective […] par la création d’une place […] », ou encore de « prononcer toute mesure jugée utile au rétablissement des libertés fondamentales ». Leur demande ayant été rejetée par une ordonnance du 31 octobre 2013, les requérants ont interjeté appel devant le Conseil d’État afin qu’il en prononce l’annulation et qu’il fasse droit à leur demande.


     Les parents du jeune garçon autiste estimaient que la condition de l’urgence était remplie dans la mesure où l’enfant, du fait de son état, créait un danger grave pour son entourage. En outre, ils arguaient d’une carence du département du Loir-et-Cher dans la prise en charge de l’enfant, portant une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales : le droit à la vie et à la protection de la santé, le droit à l’éducation, le droit à une prise en charge pluridisciplinaire, le droit au respect d’une vie privée et familiale normales et le droit à la dignité. Outre les lacunes dans l’accomplissement des diligences nécessaires pour assurer une prise en charge effective et adaptée de l’enfant, reproché au département par les requérants, ces derniers estimaient que l’ARS était également compétente dès lors qu’elle était chargée de l’organisation d’une offre de soins suffisante et de la recherche des places disponibles dans des structures adaptées. Ils demandaient par conséquent au juge des référés du Conseil d’État d’enjoindre au directeur de l’ARS « de prendre toutes mesures nécessaires pour ouvrir une structure de jour ».


     Le président du Conseil général considérait qu’il n’avait pas le pouvoir d’ordonner les mesures réclamées par les requérants et l’ARS faisait valoir qu’elle n’était pas compétente pour décider de l’admission d’une personne handicapée dans un IME. Pour le ministre des affaires sociales et de la santé, les conditions de l’article L 521-2 sur le référé-liberté n’étaient pas réunies dans la mesure où l’Administration avait « effectué toutes les diligences nécessaires lui incombant compte tenu des moyens dont elle dispose », notamment en demandant au directeur général de l’Association départementale de parents et amis de personnes handicapées mentales (ADAPEI) de prendre toutes mesures nécessaires pour ouvrir une structure de jour pouvant accueillir des enfants atteints de troubles autistiques, dont le fils des requérants. De plus, le ministre des affaires sociales et de la santé estimaient que le caractère « manifestement grave et illégale de l’atteinte à une liberté fondamentale » n’était pas établi par les requérants.


     Le Conseil d’État avait déjà consacré, dans une ordonnance de référé du 15 décembre 2010, le droit à la scolarisation des enfants handicapés (Serge Slama, « Droit à la scolarisation des enfants handicapés, procédure de référé-liberté et prise en compte des moyens dont dispose l’administration », in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 22 décembre 2010). Ici, le juge des référés est venu préciser à la fois la teneur et la portée des articles L 114-1 et L 246-1 du Code de l’action sociale et des familles imposant à l’État et aux personnes publiques chargées de l’action sociale en faveur des personnes handicapées d’assurer leur prise en charge effective dans la durée, pluridisciplinaire et adaptée ; mais également les conditions auxquelles la carence de l’Administration dans l’accomplissement de cette mission peut être sanctionnée dans le cadre d’un référé-liberté.


     En effet, il a estimé que si cette carence est de nature à engager la responsabilité de l’État, elle n’est toutefois « susceptible de constituer une faute grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale au sens de l’article L 521-2 [du Code de justice administrative] que si elle est caractérisée, au regard des pouvoirs et des moyens dont disposent ces autorités, et si elle entraîne des conséquences graves pour la personne atteinte de ce syndrome, compte tenu notamment de son âge et de son état ». Or, le juge retient que l’ARS avait mis en œuvre à brève échéance un dispositif provisoire d’accueil de jour dont l’enfant pouvait bénéficier, qu’elle avait demandé à l’ADAPEI de mettre en œuvre sans délai une procédure d’admission pour ce dernier et que l’enfant bénéficiait à ce jour d’une prise en charge par un SESSAD. Il en conclut à l’absence de carence caractérisée dans l’accomplissement  des obligations à la charge de l’État.


     Le Conseil d’État a par ailleurs rejeté le surplus des demandes à titre subsidiaire ou complémentaire tendant à la création d’une place supplémentaire dans un IME puisqu’il ne peut intervenir, en application de l’article L 521-2 du Code de justice administrative, « que pour prendre des mesures justifiées par une urgence particulière et de nature à mettre fin immédiatement ou à très bref délai à l’atteinte constatée ».


Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, Ord. Ref. 7 octobre 2013, Jacques L. et autres, Req. n° 1307736

Conseil d’Etat, Ord. Ref. 27 novembre 2013, Monsieur et Madame A., Req. n° 373300


Pour citer ce document :

Sylvia-Lise Bada, « L’effectivité du droit à une prise en charge des personnes handicapées par le biais du référé-liberté », [PDF] in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 30 décembre 2013.


Les Lettres « Actualités Droits-Libertés » (ADL) du CREDOF (pour s’y abonner) sont accessibles sur le site de la Revue des Droits de l’Homme (RevDH)Contact