Droits des détenus (Art. 720-1-1 CPP et Art. 3 CEDH) : Réécriture de la loi à la faveur d’une QPC sur la suspension de peine pour raisons médicales


par Hugues de Suremain


     Par une décision du 26 juin 2013, la Cour de cassation a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel au QPC dirigée contre les dispositions régissant la suspension de peine pour raisons médicales. Pour autant, la juridiction a saisi cette occasion pour modifier significativement le régime juridique de cette mesure, en particulier en neutralisant la condition imposant deux expertises médicales concordantes. Mais la démarche utilisée marque une extension sensible du contrôle de constitutionnalité exercé par la juridiction suprême, qui affecte la cohérence du droit et est susceptible de nuire in fine à l’effectivité de la protection recherchée


      L’augmentation de la durée de l’emprisonnement, et en particulier, sur les trente dernières années, des très longues peines de réclusion, combinée au vieillissement de la population carcérale, a conduit à une multiplication en détention de personnes en situation de grande dépendance. Les statistiques pénitentiaires font apparaître la nette aggravation de ce phénomène : « la catégorie des plus de 60 ans représentait ainsi 2 356 personnes au 1er janvier 2010, alors qu’elles n’étaient que 1 683 en 2002 et 1 104 au 1er janvier 1997. Au 1er janvier 2011, 52 personnes incarcérées avaient 80 ans ou plus, le doyen de ces seniors ayant 89 ans » (Samuel Gautier, « Vieillir et mourir en prison », in Soins et gérontologie, n° 88 mars-avril 2011).


      Pour répondre à la succession de drames humains et aux importants problèmes sanitaires que cette situation provoque au quotidien dans les établissements pénitentiaires, le législateur a institué par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé un mécanisme ad hoc, communément désigné suspension de peine pour raisons médicales. Aux termes des dispositions de l’article 720-1-1 du code de procédure pénale, « Sauf s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction, la suspension peut également être ordonnée  (…) pour les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention (…) La suspension ne peut être ordonnée que si deux expertises médicales distinctes établissent de manière concordante que le condamné se trouve dans l’une des situations énoncées à l’alinéa précédent. (…) ».


     Pourtant, en raison à la fois des conditions assortissant sa mise en œuvre et du contexte d’exacerbation de la répression pénale, ce dispositif n’a pas permis d’éviter que ce problème ne prenne une dimension réellement structurelle (voir à ce sujet le très éclairant état des lieux dressé par Céline Reimeringer et Samuel Gautier, « Dix ans de loi Kouchner : funeste anniversaire de la suspension de peine médicale », in Dedans dehors (OIP), n° 76, mars-avril 2012). Et ce en dépit de condamnations répétées à Strasbourg pour violation de l’article 3 de la CEDH (notamment : Cour EDH, 1e Sect. 27 novembre 2003, Henaf c. France, Req. no 65436/01 ; Cour EDH, 1e sect. 14 novembre 2002, Mouisel c. France, Req. n° 67263/01 ; Cour EDH, 2e Sect. 24 octobre 2006, Vincent c. France, Req. n° 6253/03 ; Cour EDH, 5e Sect. 21 décembre 2010, Raffray Taddei c. France, Req. n° 36435/07 – ADL du 21 décembre 2010). La loi n°2009-1436 du 24 novembre 2009 « pénitentiaire » s’est bien efforcée de remédier aux carences les plus flagrantes du mécanisme, en permettant, en cas d’urgence, la remise en liberté du condamné au vu d’un simple certificat médical, dispensant ainsi de l’obligation de réaliser deux expertises, et en favorisant l’accès au dispositif alternatif de la libération conditionnelle pour les condamnés âgés de plus de 70 ans. Mais les observateurs constatent que les juges « restent globalement réticents à passer outre les deux expertises et réservent cette procédure exceptionnelle aux personnes à l’article de la mort » (Céline Reimeringer et Samuel Gautier, préc.). Aussi, plus de trois ans après l’introduction de ces correctifs, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), tout en constatant l’impossibilité d’évaluer « à quel pourcentage de mesures accordées correspondent les 104 mesures de suspension de peine pour raison médicale prononcées pour l’année 2009 ; les 137 pour l’année 2010 et les 172 pour l’année 2011 », jugeait le niveau de ces chiffres en tout état de cause « très faible » et affirmait que « les conditions posées par [la loi] constituent, dans la pratique, de vraies restrictions à l’usage de ce droit » (dossier de presse accompagnant la publication du rapport annuel d’activité du CGLPL pour l’année 2012 ; sur ce rapport, voir ADL du 5 mars 2013). La directrice de l’hôpital pénitentiaire de Fresnes, vers lequel les juridictions tentent régulièrement d’orienter les condamnés en état de grande dépendance, a récemment publiquement interpellé les pouvoirs publics sur l’abandon des personnes âgés en prison (Franck Johannès, «  Malades en prison : la colère du médecin de Fresnes », in Le Monde, 13 avril 2013).


     Dans ce contexte délétère, était suivi avec la plus grande attention le traitement réservé à la question prioritaire de constitutionnalité visant l’article 720-1-1, présenté par un condamné à l’occasion d’un pourvoi en contre l’arrêt de la Cour d’appel de Chambéry lui refusant la suspension de peine. La question adressait trois séries de griefs au texte. Il était d’abord allégué qu’en liant entièrement le pouvoir du juge par les conclusions négatives des expertises, la loi violait l’article 66 de la Constitution, qui attribue aux juridictions judiciaires la mission de protéger la liberté individuelle, entendue comme la protection de la liberté d’aller et de venir. L’auteur de la question faisait ensuite valoir qu’en interdisant aux juridictions d’accorder la suspension à un condamné satisfaisant aux conditions d’octroi de la mesure, le législateur méconnaissait le caractère intangible du droit au respect de la dignité humaine. Enfin, il arguait de ce que, par leur imprécision, les dispositions privaient des garanties légales le droit à la protection de la santé, au respect de la dignité humaine, et ne répondent pas aux exigences de clarté et de précision de la loi pénale, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique.


     La réponse apportée à bas bruit – la décision ne sera pas publiée – par la chambre criminelle est pour le moins inattendue. Elle refuse de renvoyer la question au Conseil constitutionnel, mais fait partiellement droit à l’argumentation du demandeur, au moyen d’une interprétation neutralisante des dispositions contestées. D’une part, elle affirme que, saisi d’une demande présentée sur le fondement de celles-ci, le juge a le devoir de remédier aux traitements inhumains et dégradants. D’autre part, elle supprime la condition légale tenant à la concordance des expertises ordonnées.


      En éliminant ainsi au stade du filtrage une partie des vices allégués, la chambre criminelle transforme très sensiblement le régime d’octroi de la suspension : elle met fin à l’état de subordination dans lequel se trouvait le juge vis-à-vis des experts; elle modifie les conditions substantielles d’octroi de la mesure en les alignant sur les exigences résultant de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (). Si elle peut sembler à première vue expédiente, en ce qu’elle évite les aléas d’une discussion devant un Conseil constitutionnel qui, jusqu’ici, ne s’est pas illustré par l’efficacité de la protection qu’il assurait aux détenus (voir Lola Isidro et Serge Slama, « La dérobade du Conseil constitutionnel face à l’ersatz de statut social du travailleur détenu » in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 25 juin 2013), la technique employée créé une confusion sur rôle du juge du filtre, qui rejaillit sur l’examen des différents griefs et nuit à l’effectivité de la protection des droits et libertés garantis par la Constitution ().


1°/- Réappropriation de son office par le juge de l’article 720-1-1 


     La décision du 26 juin 2006 opère des avancées décisives pour le régime de la suspension de peine médicale : elle lève la mainmise des experts sur la décision de remise en liberté (A) ; de façon à échapper au contrôle du Conseil constitutionnel, elle affirme l’amplitude des devoirs incombant aux juridictions de l’application des peines en leur qualité de juges de droit commun de la Convention européenne (B).


A – Neutralisation de la condition tenant à la concordance des deux expertises médicales posée par l’article 720-1-1


     De l’avis de nombreux observateurs et praticiens, les expertises médicales concordantes prévues par l’article 720-1-1 sont au cœur des dysfonctionnements du mécanisme de la suspension médicale de peine. Ainsi, dans le rapport précité, le Contrôleur général avait fustigé le fait que les experts, « auxquels il est demandé d’examiner la compatibilité de l’état de santé de la personne détenue avec son maintien en détention, ne tiennent pas suffisamment compte des conditions matérielles d’incarcération, tout simplement parce qu’ils en ignorent parfaitement les contraintes ». Reconnaissant ouvertement l’obstacle représenté par la condition afférente aux expertises, la loi pénitentiaire de 2009 avait, plutôt que de l’éliminer, cherché à le contourner par la création d’une dérogation pour les cas d’urgence, « lorsque le pronostic vital est engagé ». La condition requise pour la mise en œuvre de l’exception coïncide donc exactement avec celle assortissant l’un des deux cas d’ouverture de la suspension médicale de peine, étant précisé que la Cour de cassation a très tôt jugé que « c’est nécessairement à court terme que la pathologie dont souffre ce dernier doit engager le pronostic vital » (Cass. crim., 28 sept. 2005, n° 05-81.010 ; Bull. crim. 2005, n° 247 ; dans le même sens, Crim., 14 octobre 2006, n°06-80361). Cette piètre légistique n’a pas incité les juridictions à emprunter ce régime dérogatoire.


     Cette exigence tenant à la concordance des deux expertises apparaît doublement paradoxale. D’une part, la loi confie la mesure à un juge spécialisé en matière pénitentiaire, mais lie son pouvoir d’appréciation par des conclusions d’experts qui, eux, n’ont à justifier d’aucune condition d’aptitude pour répondre à la question spécifique qui leur est posée, à savoir la possibilité du soin et d’une vie conforme à la dignité dans l’environnement très particulier de la prison. D’autre part, le pouvoir du juge cède devant des conclusions expertales qui, prises isolément, ne sont pas jugées suffisamment dignes de foi par le législateur, qui exige qu’elles se confortent l’une l’autre pour qu’advienne le résultat recherché par la loi.


     Au plan juridique, cette condition légale est décrite comme une véritable anomalie par les observateurs les plus attentifs du droit de l’exécution des peines. Pour Martine Herzog-Evans, « il apparaît (…) que le Jap ou le Tap ne pourraient accorder la suspension en cas de contradiction des expertises, ou de conclusion négative de celles-ci. Relevons qu’il y a là une entorse au principe habituel relatif à la liberté d’appréciation par les magistrats des résultats d’expertise, qui n’est habituellement pas contredite en droit de l’application des peines (…) Cette entorse au principe général de l’intime conviction, et consécutivement, à celui de la liberté d’appréciation des expertises par les juridictions judiciaires, trouvait déjà un précédent dans le régime du suivi socio-judiciaire » (Droit de l’exécution des peines, Dalloz Action, 2012-2013, pp. 555-556).


     L’inconstitutionnalité de ce système, qu’invoquait la QPC, n’était guère douteuse. La jurisprudence constante du Conseil constitutionnel pose en effet pour principe que la loi ne peut retirer à l’autorité judiciaire le pouvoir d’apprécier s’il y a lieu d’ordonner l’élargissement d’une personne privée de liberté́. Le Conseil a ainsi juge « qu’en subordonnant à l’avis favorable d’une commission administrative le pouvoir du tribunal de l’application des peines d’accorder la libération conditionnelle, le législateur a méconnu tant le principe de la séparation des pouvoirs que celui de l’indépendance de l’autorité́ judiciaire » (Cons. Constit., Décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008, Loi relative à la rétention de sureté́ et à la déclaration d’irresponsabilité́ pénale pour cause de trouble mental, cons. 34 – ADL du 22 février 2008). Plus près de nous, le Conseil a fait une application éclairante de ce principe, à l’occasion de l’examen de la constitutionnalité du régime de l’hospitalisation d’office des personnes pénalement irresponsables. Tout en signalant la situation particulière des auteurs d’infractions pénales atteints de troubles mentaux, justifiant, à ses yeux, que la levée de leur hospitalisation soit entourée de garanties particulières, le Conseil a considéré qu’en « subordonnant à l’avis favorable de deux médecins le pouvoir du juge des libertés et de la détention d’ordonner la sortie de la personne hospitalisée d’office, [le législateur] a méconnu les exigences des articles 64 et 66 de la Constitution » (Cons. constit., décision n° 2011-185 QPC du 21 octobre 2011, M. Jean-Louis C.ADL du 27 octobre 2011, Cons. 6).


     Si la technique utilisée est assez incongrue (voir infra), la réponse qui est donnée par la Cour de cassation au grief articulé est, sur point, limpide : « la question posée ne présente pas, à l’évidence un caractère sérieux dès lors (…) que, même en présence de deux expertises concordantes établissant que le condamné ne se trouve pas dans l’une des situations prévues par l’article 720-1-1 du code de procédure pénale, il entre de manière normalement prévisible dans l’office du juge qui reste saisi d’une demande de suspension de peine, soit d’ordonner une nouvelle expertise, soit de rechercher si le maintien en détention de l’intéressé n’est pas constitutif d’un traitement inhumain ou dégradant, notamment par son incompatibilité avec les garanties qui lui sont dues pour protéger sa santé ».


     La Cour de cassation affirme ainsi que les juridictions de l’application des peines ne sont jamais tenues par les conclusions des experts, que ceux-ci analysent la compatibilité de l’état de santé des intéressés avec la détention ou qu’ils se prononcent sur l’existence d’une pathologie engageant le pronostic vital. Afin de ne laisser subsister aucun doute sur ce point, la chambre criminelle prend le parti de répondre à la question en énonçant la règle applicable dans l’hypothèse la plus défavorable au condamné, celle où les deux expertises affirment à l’unisson que ce dernier ne remplit pas les conditions de la suspension de peine, pour affirmer que l’office du juge reste intact. Aussi bien, quelle que soit la teneur des conclusions de celles-ci, le juge a toujours la faculté d’ordonner une expertise supplémentaire. Et, lorsqu’il statue sur le bien-fondé de la demande, il a toujours l’obligation de rechercher par lui-même si le condamné ne subit pas un traitement inhumain à raison de sa détention, sous l’angle de l’une ou l’autre des conditions posées par l’article 720-1-1.


     Cette réponse était tout sauf « prévisible ». Elle contredit tout bonnement la lettre de l’article 720-1-1 qui, dans des termes dépourvus d’ambiguïté, prévoit que « la suspension ne peut être ordonnée que si deux expertises médicales distinctes établissent de manière concordante que le condamné » se trouve dans l’une des deux hypothèses d’octroi de la mesure. Cette réponse prend également le contre-pied de la jurisprudence de la chambre criminelle elle-même, aux termes de laquelle, lorsqu’il s’agit d’écarter le bénéfice d’une suspension médicale de peine, une seule expertise est suffisante (Crim. 23 juin 2004, no 04-80.439, Bull. crim., no 172 ; dans le même sens, 24 octobre 2007, Bull. crim. 2007, n° 257). Tout juste la chambre criminelle avait-elle prévu que devaient être également prises en compte, pour l’examen du bien-fondé de la suspension de peine, les conclusions d’une expertise décidée par ailleurs, lorsque le condamné pouvait se prévaloir d’un tel document (Cass. crim., 14 oct. 2009, n° 09-81.627). Ainsi, si la haute juridiction témoignait d’une volonté de conférer un peu de marge de manœuvre aux juridictions d’application des peines, elle maintenait – logiquement – sa jurisprudence dans les limites très contraignantes de l’article 720-1-1. C’est donc à un véritable bouleversement que procède la Cour de cassation s’agissant de la portée des expertises dans le régime juridique de la suspension médicale de peine.


B – (Ré)affirmation de la mission du juge européen de droit commun 


     Les mérites de la décision du 26 juin 2013 ne se résument pas à la question de la portée des expertises, puisque la Cour de cassation, tout en rappelant le caractère exceptionnel de la suspension de peine, énonce clairement que la mission première du juge de l’article 720-1-1 est de prévenir ou faire cesser les traitements inhumains ou dégradants nés du maintien en détention d’une personne en fin de vie ou gravement malade.


     Ce faisant, la Cour de cassation répond, certes à demi-mot, au requérant. Celui-ci mettait en cause l’absence de précision dans la loi des conditions d’examen de la compatibilité de l’état de santé avec la détention, et en particulier l’absence d’obligation faite aux juridictions de rechercher concrètement si les soins effectivement dispensés au condamné sont ou non adaptés à son état et si les modalités pratiques de leur délivrance ne le soumettent pas à un traitement inhumain ou dégradant. Il faisait en outre valoir que l’indétermination des conditions posées à l’accès à la mesure conduisait à son octroi à un stade trop avancé de la maladie pour que les exigences constitutionnelles ne soient pas méconnues.


     Compte tenu de l’argumentation développée au soutien de la QPC du contexte jurisprudentiel dans lequel elle intervient, le motif énoncé par la Cour de cassation va au-delà d’une affirmation de la ratio legis de la disposition litigieuse : il sonne bel et bien comme une mise au clair des obligations incombant aux juridictions dans l’examen des demandes de suspension de peine.


     Ainsi, bien que se prononçant dans le cadre du contrôle de constitutionnalité, c’est bien à un rapprochement vis-à-vis du droit européen que procède la Cour de cassation, lequel lui permet de se soustraire au contrôle du juge constitutionnel.


     Il doit être rappelé ici que les conditions dans lesquelles devaient être appréhendées la condition tenant à l’incompatibilité de l’état de santé avec la détention étaient incertaines. Dans un premier temps, un arrêt de janvier 2009 (Crim. 7 janv. 2009, no 08-83.364, inédit), concernant la situation d’un condamné paraplégique, qui avait précédemment obtenu une condamnation retentissante de la France sur le terrain de l’article 3 de la CEDH (Cour EDH, 2e Sect. 24 octobre 2006, Vincent c. France, Req. n° 6253/03) a marqué un rapprochement des raisonnements des cours judiciaires et celle de Strasbourg. Dans cette affaire, l’une des expertises retenait l’incompatibilité de la détention, tandis que l’autre affirmait que celle-ci résultait non pas de l’état de santé du sujet mais de l’inadéquation des locaux de détention. Faute d’avoir pris en compte la portée exacte de cette conclusion, la Cour d’appel a été censurée sur le terrain du défaut de motif.


     Mais cette approche concrète a semblé remise en cause par la jurisprudence la plus récente. Ainsi, dans un arrêt d’avril 2012 publié au Bulletin – qui constitue, selon Légifrance, la dernière décision rendue en la matière par la Cour de cassation – la haute juridiction a jugé que les juges du fond n’avaient pas, préalablement à la décision de retrait de la suspension de peine d’un condamné en fin de vie, à apprécier la compatibilité de la détention avec l’état de santé de l’intéressé, au jour de leur décision, au motif qu’une telle décision ne préjugeait pas « des modalités de la détention en fonction de l’état de santé réel de l’intéressé » (Cass. crim, 12 avril 2012, n° 11-85673, Bull. crim. 2012, n° 98). La chambre criminelle a ainsi semblé faire retour à une lecture abstraite de l’article 720-1-1, en tirant prétexte d’ajustements pouvant virtuellement être apportés aux conditions de détention de la détention, autrement dit sans tenir compte, ni de l’état de santé réel de l’intéressé, ni des modalités concrètes de la détention envisagée au regard des possibilités matérielles de l’administration pénitentiaire.


     Comme le signale le vocable européen de traitement inhumain ou dégradant – qui ne doit rien au hasard dans le contexte du contrôle négatif de constitutionnalité – les juridictions du fond sont invitées à appliquer, dans la mise en œuvre des dispositions de l’article 720-1-1, les principes dégagés par la Cour européenne. La Cour de cassation rappelle à cet égard que le caractère inhumain ou dégradant du maintien du condamné en détention s’apprécie « notamment par son incompatibilité avec les garanties qui lui sont dues pour protéger sa santé ». En affirmant ainsi que la délivrance des soins requis par la maladie n’épuise pas la question de l’aptitude à la détention, la chambre criminelle apporte une précision importante au regard de la pratique des juridictions. En effet, comme l’explique Jean-Claude Bouvier, juge de l’application des peines à Créteil, l’un des obstacles majeurs à l’octroi de la mesure est que la situation du condamné n’est « pas regardé[e] sous le prisme de la dignité de la personne mais sous l’angle de l’offre de soins existante en prison. (…) L’idée que l’on accorde une suspension de peine [uniquement] lorsque le détenu ne reçoit pas les mêmes soins qu’à l’extérieur s’est développée » (in Sidaction, « La suspension de peine, une affaire de dignité », Guide Transversal, Février 2008, cité par Céline Reimeringer et Samuel Gautier, préc.).  Or si sur le papier le niveau de prise en charge médicale en prison correspond souvent peu ou prou à celui assuré à l’extérieur, en pratique les modalités concrètes de délivrance des soins (extractions vers l’hôpital soumises à des mesures éprouvantes de sécurité, difficulté d’accéder à des soins d’urgence, en particulier la nuit, etc.) et l’impact de l’épreuve de la détention font qu’il est impossible de traiter la maladie en détention dans se rapprochant des conditions prévalant à l’extérieur (sur ces questions, voir notamment l’étude de la CNCDH sur Les droits de l’homme dans la prison, p.143 et s.).


     Magistrats et experts sont donc appelées à se défaire de leurs pratiques et à adopter la grille d’analyse européenne. Selon la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, le contrôle de l’adéquation de la situation des prisonniers gravement malade avec les exigences de l’article 3 requiert un triple examen : « a) la condition du détenu, b) la qualité des soins dispensés et c) l’opportunité de maintenir la détention au vu de l’état de santé du requérant » (Cour EDH, 1e Sect. 2 décembre 2004, Farbtuhs c. Lettonie, Req. n° 4672/02, § 53).


     Le premier critère renvoie aux conditions matérielles de la détention, qui concernent essentiellement les caractéristiques d’hygiène et de salubrité de l’emprisonnement, mais peuvent inclure d’autres aspects, telles que les conditions des extractions médicales et en particulier le dispositif de sécurité mis en ouvre en ces occasions (Cour EDH, 1e sect. 14 novembre 2002, Mouisel c. France, Req. n° 67263/01, §§ 46 et 47 ; Cour EDH, 1e Sect. 27 novembre 2003, Henaf c. France, Req. no 65436/01, §§ 49 et s.). Sous l’angle du deuxième critère, constitue un indicateur important la nette détérioration de l’état de santé en détention, qui créé inévitablement un doute sur l’adéquation des soins qui y sont dispensés (Cour EDH, 5e Sect. 14 mars 2013, Salakhov et a. c. Ukraine, Req. n° 28005/08). Toutefois, n’est pas seulement pris en compte ici l’accès aux consultations spécialisées et aux thérapeutiques prescrites, mais également à des soins plus « périphériques » par rapport à la maladie, tels que l’assistance pour les actes de la vie quotidienne et l’accompagnement psychologique, autant de tâches qui impliquent l’intervention d’un personnel qualifié, plutôt que des surveillants pénitentiaires ou des codétenus (Cour EDH, 2e Sect. 5 mars 2013, Gülay Çetin c. Turquie, Req. n° 44084/10, §112). Le dernier critère, qui est apprécié en liaison avec le précédent, renvoie globalement à la « capacité de faire face à la détention », compte tenu du « tableau clinique du détenu ». En effet, la Cour a jugé qu’à ce stade, la prolongation de la détention, par elle-même et indépendamment de la qualité des soins dispensés a nécessairement un retentissement sur la personne (Gülay Çetin c. Turquie, préc. § 109).


      Tels sont donc les termes de l’aggiornamento qui s’impose aux juridictions d’application des peines. Celui-ci s’avère d’autant plus pressant que, compte tenu de l’amplification du phénomène de la grande dépendance dans les détentions et des atermoiements des pouvoirs publics face aux défaillances de la loi du 4 mars 2002, l’horizon s’obscurcit à Strasbourg. La Cour est appelé à se prononcer prochainement sur la compatibilité avec l’article 3 de la détention d’une personne hémiplégique (Affaire Helhal c. France, Req n° 10401/12 communiquée le 17 décembre 2012). Et, à l’aune d’un examen concret des situations rencontrées dans les établissements pour peines, il n’est pas certain que le dispositif interne passe cette épreuve sans dommage.


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     Par sa décision du 26 juin 2013, la chambre criminelle se montre soucieuse du hiatus entre le droit européen et la pratique suivie par les juridictions placées sous son contrôle. Toutefois, en voulant coûte que coûte chambarder elle-même le régime de la suspension de peine, il n’est pas certain qu’elle parvienne à réaliser la mise en ordre exigée par le droit européen.


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2°/- Libre détermination de son office par le juge chargé du filtrage de la QPC 


     La décision commentée rend compte d’une double extension du pouvoir de contrôle de la constitutionnalité des lois de la Cour de cassation. D’une part, le type d’interprétation neutralisante qu’elle inaugure rapproche sensiblement son office de celui du juge de constitutionnalité « de plein exercice » (A). D’autre part, la motivation laconique qu’elle utilise lui permet de faire le tri des difficultés sérieuses de constitutionnalité qu’elle souhaite voir résolues par les juges de la rue Montpensier (B).


A – Préemption du contrôle par l’utilisation d’une interprétation neutralisante contra legem


     L’interprétation conforme dans le cadre du filtrage de la QPC n’est pas inédite, loin s’en faut. Elle est même devenue une démarche banale de la part des juridictions suprêmes, qui participe déjà d’un contrôle poussé de constitutionnalité. Une étape a été franchie dans le sens d’une intensification de ce contrôle lorsque le Conseil d’Etat a neutralisé une disposition contestée en s’appuyant, non pas sur l’interprétation qui lui était donnée par sa propre jurisprudence consolidée, mais sur une interprétation « sur mesure », destinée à la rendre conforme aux exigences constitutionnelles. Il en a été ainsi de l’interprétation donnée, s’agissant des prévenus, aux dispositions interdisant la libre disposition par les détenus des sommes figurant dans la part de leur compte en détention destinée à l’indemnisation des parties civiles. Pour dénier tout caractère sérieux à la question, le Conseil d’Etat interprète l’article contesté comment n’ayant « pas par lui-même pour objet et ne [pouvant] avoir pour effet d’imposer aux personnes prévenues un prélèvement définitif de leurs avoirs […] dès lors que cette mesure […] a un caractère conservatoire » (CE, 19 mai 2010, M. Théron, concl. M. Guyomar, Gaz. Pal. 27 mai 2010, p. 23, 11761).


     Toutefois, au cas présent, la démarche effectuée par la Cour de cassation va bien au-delà et marquerait  véritablement un tournant si elle devait être confirmée par des décisions ultérieures. Compte tenu de la clarté de son libellé, le texte en cause n’était pas susceptible d’interprétation. Ses dispositions reflétaient de surcroît fidèlement l’intention du législateur : dans son avis au nom de la commission des lois du Sénat en date du 16 janvier 2002, Pierre Fauchon, à l’initiative du texte, justifiait cette exigence d’expertises concordantes par la nécessité d’éviter tout détournement de cette procédure. Dans ces conditions, parce qu’elle contrecarre l’unique signification que pouvait comporter le texte contesté, la lecture neutralisante qui en est faite ressemble fort à une censure déguisée. Contestable sur le plan des principes, cette façon de faire l’est également du point de vue de l’effectivité de la protection des droits et libertés que la Constitution garantit.


     En premier lieu, bien que l’arrêt transforme littéralement le dispositif institué par le législateur, sa portée concrète dépendra en réalité du degré de précision du contrôle des motifs qui sera exercé par le juge de cassation en la matière. Le libellé de l’article 720-1-1 demeurant inchangé, le risque est en effet grand que de nombreuses juridictions persistent à s’en rapporter purement et simplement aux conclusions des deux experts pour rejeter la demande du condamné. Si la Cour de cassation en venait à considérer qu’en procédant de la sorte, les juridictions du fond ne font qu’exercer leur pouvoir souverain d’appréciation – autrement dit qu’elles considèrent implicitement qu’aucune circonstance ne justifie de s’écarter des conclusions expertales – les conditions de mise en œuvre de la suspension de peine ne devraient pas évoluer fondamentalement. Un tel scénario n’est pas inconnu dans le droit de l’exécution des peines. Nombre de juridictions du fond s’obstinent par exemple à subordonner l’octroi de la confusion de peines à la condition, non prévue par la loi, que les infractions en concours soient « de même nature ». La chambre criminelle ferme les yeux sur de telles impérities (Cass. crim, 26 mars 2004, n° 03-83.157).


     Ensuite, quel que soit le niveau d’exigence dont elle témoignera, la chambre criminelle pourrait se trouver dans l’impossibilité d’assurer rapidement l’unification de l’application du droit tel qu’il résulte de sa jurisprudence et non des dispositions du code de procédure pénale, compte tenu de la situation de grande précarité des justiciables concernés. Les pourvois pourraient se faire peu fréquents : les condamnés peuvent faire le choix d’attendre d’être accessibles à un autre aménagement, ne pas avoir les moyens financiers de saisir le juge de cassation, être mal conseillés sur les chances de succès d’une telle démarche ou, comme c’est le cas fréquemment, ne pas avoir l’énergie de poursuivre, malgré les refus successifs, une action judiciaire dans la durée. L’absence de mise en œuvre de la suspension médicale de peine résultant de l’indisponibilité de places en structures d’accueil à l’extérieur témoigne de la difficulté pour les intéressés d’engager des procédures lourdes. Une voie de recours a été ouverte en 2007 pour contraindre en référé, sur le fondement de l’article L.6112-2 du code de la santé publique, les établissements hospitaliers à orienter les intéressés vers une structure adaptée à leur état, de sorte à permettre leur libération (CE, ord. réf., 9 mars 2007, G. et OIP, AJDA 2007.1367, note T. Gründler ; pour une application positive de cette procédure en référé-suspension : TA Paris, ord. réf., 13 juin 2007, E. et OIP, n°0707596). Il est dès lors déterminant que l’arrêt qui sera rendu au principal non seulement énonce clairement le nouveau régime d’octroi de la suspension de peine médicale mais encore fasse l’objet d’une publication suffisante.


B – Extension du domaine du contrôle négatif par le recours à une motivation fuyante


     Il a été souligné que la notion de « question sérieuse », conditionnant le renvoi au Conseil constitutionnalité avait progressivement pris la signification de « difficulté sérieuse » (Agnès Roblot-Troizier, « La QPC, le Conseil d’État et la Cour de cassation », in Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 1er juin 2013 n° 40, P. 49). Cette mutation de l’office du juge du filtre a été rapidement décrite de l’intérieur comme légitime et nécessaire dès lors que circonscrite strictement : « la frontière entre un filtrage efficace des QPC par le Conseil d’État et la Cour de cassation et une obstruction déloyale envers le Conseil constitutionnel doit être tracée (…) Si, dans l’interprétation de la disposition contestée, même au regard de la Constitution – et fût-elle une interprétation conforme au principe constitutionnel dont la méconnaissance est invoqué – le juge du renvoi se borne à reproduire sa propre jurisprudence ou à transposer fidèlement un raisonnement déjà éprouvé par le Conseil constitutionnel, il nous semble qu’il remplit pleinement le rôle qui lui est dévolu par la Constitution. » (Sophie-Justine Lieber, Damien Botteghi et Vincent Daumas, « La question prioritaire de constitutionnalité vue du Conseil d’État », in Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 29). Et ces commentateurs de souligner que les « décisions de refus de renvoi qui sont (…) davantage motivées, notamment en ce qui concerne les critères de nouveauté et surtout de caractère sérieux de la question. Le juge déroule un raisonnement, et tranche en droit, (…) en proposant une interprétation soit de la disposition législative contestée, soit même de la portée de la norme constitutionnelle invoquée, en suivant sur ce dernier point la jurisprudence constitutionnelle ».


     Ces précautions semblent avoir été perdues de vue dans la décision du 26 juin 2013, qui repose sur une motivation pour le moins sibylline, qui lui permet d’évacuer sans encombre les griefs invoqués et qui fait redouter le glissement vers une appréciation en opportunité du renvoi vers le Conseil constitutionnel des questions posant assurément une difficulté sérieuse.


     S’agissant du moyen tiré de ce qu’en interdisant l’octroi d’une de la suspension de peine en présence d’un « risque grave de renouvellement de l’infraction », l’article 720-1-1 organise la poursuite d’un traitement contraire au droit au respect de la dignité humaine, en méconnaissance de l’intangibilité de ce principe, rappelée dans la décision 2009-593 DC loi pénitentiaire, il est difficile de dire s’il a été « accueilli » au bénéfice de la lecture neutralisante employée pour les expertises ou s’il est purement et simplement rejeté. L’absence de référence à un tel risque dans la définition de la mission de prévention et d’élimination des traitements inhumains incombant au juge semble plutôt suggérer que c’est la première réponse qui a été retenue. Mais il faudra attendre que le cas se présente devant la Cour de cassation pour être fixé.


     Pour le reste, la chambre criminelle fait masse des différentes critiques adressées au texte et y répond en affirmant que « la personne concernée a été privée de sa liberté pour l’exécution d’une peine jugée nécessaire par l’autorité judiciaire, la suspension pour motif d’ordre médical constituant une mesure exceptionnelle ». Il semble qu’il faille ici comprendre que ce faisant, la chambre déclare inopérant le moyen tiré de ce que les dispositions litigieuses n’assortissent pas de garanties adéquates le principe de  nécessité et de proportionnalité auquel est subordonnée toute restriction à liberté d’aller et de venir, en vertu des articles 2, 4 et 8 de la Déclaration de 1789.


     Est transposé ici la jurisprudence de la Cour européenne, selon laquelle lorsque la condamnation initiale émane d’un tribunal, et est prononcée pour une durée déterminée, le contrôle de la légalité de la décision ultérieure d’incarcération est « incorporé » à la décision judiciaire (Cour EDH, Pl., 18 juin 1971, De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, Req. n° 2832/66 et s., § 76). Mais en spécifiant expressément qu’elle tient compte du caractère exceptionnel de la suspension médicale de peine, la chambre criminelle semble prendre le soin de ne pas préjuger de la question de l’applicabilité de ces exigences constitutionnelles au droit de l’exécution des peines dans son ensemble.


     A cet égard, cette référence européenne semble un peu hors de propos dès lors que la « nécessité de la peine » se trouve ici remise en cause par une circonstance qui lui est extérieure (la pathologie d’évolution fatale ou le handicap) et qu’en la matière la Cour européenne impose précisément la mise en place de garanties procédurales adéquates (Gülay Çetin c. Turquie, préc.). D’autre part la Cour de Strasbourg considère que lorsque les motifs justifiants l’incarcération sont susceptibles d’être affecté par le passage du temps, un contrôle est requis sous l’angle de l’article 5§4 (Cour EDH, Dec. 21 juin 2011, Kafkaris c. Chypre (n° 2), Req. n° 9644/09, § 58 ; sur l’obligation de prévoir le réexamen des peines perpétuelles posée par l’arrêt Vinter et autres c. Royaume-Uni rendue par la Grande Chambre le 9 juillet 2013, soit donc ultérieurement à la décision commentée, v. ADL du 18 juillet 2013).


     Quant à eux, les juges de la rue Montpensier ont fait du rattachement du droit applicable à la prison au droit pénal et à la procédure pénale un chef de compétence pour le législateur (décision n° 2009-593 DC du 19 novembre 2009, § 3), ce qui devrait conduire à regarder les principes qui y sont attachés comme irriguant la matière. Bien plus, la décision n° 93-334 DC du 10 janvier 1994 (peines incompressibles), a, selon les Cahiers du Conseil constitutionnel « marqué un pas important dans l’unification du régime constitutionnel des peines et des modalités de leur exécution » (commentaire de la décision 2011-625 DC du 10 mars 2011ADL du 17 mars 2011). Aussi, dans sa décision n° 2007-554 DC du 09 août 2007, le Conseil constitutionnel a jugé opérant le moyen tiré de la violation des principes de nécessité et d’individualisation des peines, dirigé contre les dispositions tendant à soumettre à une injonction de soin certaines catégories de condamnés et celles modifiant les conditions d’octroi des réductions supplémentaires de peine ainsi que de la libération conditionnelle aux personnes condamnées pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru (cons. 29-33). Dans ces conditions, la chambre criminelle pouvait difficilement se prévaloir d’une position solidement établie du Conseil constitutionnel pour écarter l’applicabilité des exigences constitutionnelles invoquées.


     Le même constat s’impose s’agissant de la critique formulée sous l’angle de l’insuffisance de garantie légale assurée au droit à la protection de la santé et au respect de la dignité humaine. On peut certes objecter que le Conseil constitutionnel ne s’est pas montré prompt à censurer l’incompétence négative –  qui semble être une tare congénitale du droit pénitentiaire français – lorsque l’occasion s’est présentée avec l’examen de la loi pénitentiaire. Toutefois, comme le souligne le commentaire de cette décision aux Cahiers, le contrôle opéré par la haute instance a été, s’agissant de ce texte, de faible intensité, compte tenu du fait que la saisine des parlementaires de l’opposition était blanche. Quoi qu’il en soit, il est difficile de considérer que la position du Conseil constitutionnel est fixée en la matière.


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     Le juge judiciaire a entendu ne pas laisser le Conseil constitutionnel exercer à sa place la mission de gardien de la liberté individuelle que lui confie le texte fondamental. L’importance des avancées opérées par sa décision du 26 juin 2013 ne doit pas être sous-estimée, au regard en particulier de l’engagement continu d’associations, d’autorités indépendantes et de parlementaires depuis dix ans pour faire évoluer le cadre juridique de la suspension de peine pour raisons médicales. Mais il reste que ces avancées doivent encore être concrétisées par des décisions ultérieures, lesquelles sont susceptibles de se faire attendre. Surtout, le refus de renvoyer la QPC marque une occasion ratée de prendre date pour la mise en chantier d’une réforme de la suspension de peine, tant les difficultés liées à la maladie et au handicap en prison encore en suspens sont immenses, qu’il s’agisse de la situation des malades psychiatriques, des  malades en détention provisoire, de l’articulation de l’action sanitaire en détention avec le secteur médico-social extérieur, du défaut de formation des experts, etc. Il reste à espérer que la décision du 26 juin 2013 incitera le gouvernement à intégrer une réécriture, en profondeur celle-ci, du dispositif dans le projet de loi pénale en cours d’élaboration à la Chancellerie – et à inscrire effectivement celui-ci à l’agenda du Parlement.


Cass. crim, QPC, 26 juin 2013, 12-88284


Pour citer ce document :

Hugues de Suremain, « Réécriture de la loi à la faveur d’une QPC sur la suspension de peine pour raisons médicales » [PDF] in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 20 juillet 2013.


Les Lettres « Actualités Droits-Libertés » (ADL) du CREDOF (pour s’y abonner) sont accessibles sur le site de la Revue des Droits de l’Homme (RevDH)Contact